Alors que la situation sécuritaire en Haïti continue de se détériorer, la République dominicaine multiplie les expulsions de ressortissants haïtiens. Entre violence, exil et durcissement des politiques migratoires, l’île d’Hispaniola vit aujourd’hui une fracture humaine et politique profonde.
Un pays à bout de souffle
Haïti traverse une crise sans précédent. D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1,4 million de personnes sont aujourd’hui déplacées à l’intérieur du pays, fuyant les violences des gangs, notamment à Port-au-Prince et dans l’Artibonite (OIM).
Les quartiers autrefois densément peuplés se vident, les services de base s’effondrent, et la population se replie dans des zones rurales ou frontalières. Pour beaucoup, le passage vers la République dominicaine représente la seule voie de survie.
Un contrôle migratoire renforcé
De l’autre côté de la frontière, la République dominicaine a considérablement durci sa politique migratoire. Selon les chiffres publiés par la Direction générale de la migration (DGM), plus de 310 000 ressortissants haïtiens ont été rapatriés depuis le début de l’année 2025, un niveau jamais atteint auparavant (iciHaïti).
Le 7 novembre 2025, la DGM a encore annoncé l’arrestation de plus de 1 000 personnes en une seule journée lors d’une « opération de contrôle intensif » menée avec les forces armées dominicaines (migracion.gob.do).
Ces opérations massives s’inscrivent dans une politique voulue « ferme » par le gouvernement dominicain, qui affirme vouloir reprendre le contrôle de son territoire face à une « pression migratoire exceptionnelle ».
Des expulsions dénoncées
Ces actions sont toutefois vivement critiquées. Dans un rapport publié en septembre 2025, The Guardian a révélé des pratiques d’arrestations arbitraires et de quotas de déportation : « They grabbed us like dogs », témoigne un travailleur haïtien expulsé des bateyes, ces communautés rurales où vivent depuis des décennies des travailleurs haïtiens employés dans les plantations sucrières (The Guardian).
De nombreuses ONG, dont Amnesty International, dénoncent une discrimination raciale et des atteintes systématiques aux droits fondamentaux. En avril 2025, Amnesty a notamment alerté sur un nouveau protocole de santé adopté par la République dominicaine, obligeant les migrants à présenter des papiers d’identité pour accéder aux soins et exposant les sans-papiers à une expulsion après traitement (Amnesty International).
Des retours sans issue
Côté haïtien, le retour des expulsés crée une pression supplémentaire sur un pays déjà en crise. L’Agence France-Presse rapportait en mai 2025 que les autorités locales sont incapables d’assurer un accueil digne aux milliers de personnes refoulées chaque semaine (France 24). L’ONG ACAPS souligne que les zones frontalières haïtiennes sont aujourd’hui saturées, sans infrastructures, ni ressources pour absorber ces flux de retour (ACAPS). Pour les rapatriés, le dilemme est cruel : retourner dans des quartiers sous contrôle de gangs ou survivre dans des camps précaires, sans emploi ni protection.
Un enjeu humain avant tout
Au-delà des politiques et des frontières, cette crise met en lumière des vies suspendues entre deux mondes. Des travailleurs sans papiers, des familles séparées, des enfants nés en République dominicaine mais privés de nationalité à cause de leur ascendance haïtienne. La frontière n’est plus seulement une ligne géographique : elle est devenue le symbole d’une fracture identitaire et sociale entre deux nations liées par l’histoire, mais divisées par la peur et la méfiance.
Journaliste et réalisation : Eva Bettale