Épisode 2 – Justice transitionnelle. La Syrie à la croisée des chemins

Les obstacles de la justice : entre impunité et peur

La chute du régime a marqué une rupture historique, mais la mise en place d’une véritable justice transitionnelle se heurte à des obstacles qui dépassent les questions institutionnelles : traumatismes mémoriels, fractures communautaires et attentes parfois inconciliables d’une société dévastée par treize années de guerre. Malgré l’effondrement du pouvoir central, des éléments clés de l’appareil sécuritaire persistent. D’anciens responsables des services de renseignement et des milices continuent de contrôler certaines zones, notamment en milieu rural à Lattaquié ou à Sweida, où des massacres récents ont rappelé qu’une brutalité enracinée survit encore. [35]

Pendant longtemps, les services de renseignement syriens (moukhabarat) [36] ont été le pilier du pouvoir d’Assad, exerçant leur influence tentaculaire à travers une surveillance constante, des pratiques systématiques de torture et des disparitions forcées. Selon Iyad Al-Shaarani, tant que ces structures oppressives ne seront pas démantelées et leurs responsables traduits en justice, aucune garantie ne pourra être donnée aux Syriens concernant leur sécurité future. Michel Ghaith vit cette injustice au quotidien. Son père, ancien prisonnier torturé et exécuté par le régime, hante sa mémoire tandis que ses meurtriers déambulent librement dans son quartier. « Tous les jours, je croise les assassins de mon père. Les complices de l’ancien régime se promènent en toute impunité. Le nouveau gouvernement doit prendre de vraies mesures. Certains pensent qu’il y a déjà une ébauche de justice. Mais pour tous ceux qui ont souffert toutes ces années, peuvent-ils vraiment accepter cette impunité ? » Cette survivance entrave lourdement les efforts de justice. Les victimes ont peur de témoigner, sachant que leurs bourreaux circulent librement parmi elles. Iyad Al-Shaarani résume cette impasse douloureuse : « On ne peut pas demander aux victimes de témoigner librement tant que les bourreaux circulent encore en uniforme dans leurs quartiers. »

L’exemple de Mohammed Hamsho, selon l’enquête de Reuters publiée le 24 Juillet 2025 [37], illustre cette impunité persistante. Cet homme d’affaires est accusé d’avoir utilisé son usine de métallurgie pour traiter des métaux provenant de zones résidentielles détruites, servant de façade pour Maher al-Assad, frère du président. Ce dernier dirigeait la Quatrième Division de l’armée syrienne, liée par les gouvernements occidentaux à la production et au trafic de Captagon. Revenu en Syrie en janvier 2025, Hamsho vit aujourd’hui sous protection de l’État dans un luxueux penthouse du quartier huppé de Malki à Damas.

Le conflit a laissé derrière lui une Syrie profondément divisée. Le régime a systématiquement instrumentalisé les communautés, Sunnites, Alaouites, Kurdes, Druzes et Chrétiens, les unes contre les autres pour prévenir toute solidarité nationale. Cette stratégie de fragmentation a laissé des cicatrices profondes dans le tissu social syrien. Comme le souligne l’activiste Wafa Mustafa [38] dont le père a disparu dans les geôles du régime, « la Syrie ne pourra pas se reconstruire tant que nous n’aurons pas la vérité » (The Guardian, 2 octobre 2025). La difficulté réside dans la construction d’un récit national qui puisse reconnaître les souffrances de toutes les communautés sans alimenter de nouvelles divisions. Un danger bien réel plane : celui d’une amnésie imposée sous couvert de stabilité. Certains dirigeants prônent le « pardon » et l’oubli pour tourner la page. Mais les victimes refusent fermement cette logique. Iyad Al-Shaarani le dit sans détour : « Il n’y a pas de paix durable sans vérité. Tout compromis qui efface la mémoire des victimes prépare la prochaine guerre civile. »

La légitimité du système judiciaire actuel est gravement compromise. De nombreux magistrats ayant collaboré avec le régime occupent toujours leurs postes. Iyad Al-Shaarani est catégorique : « Les acteurs compromis ne peuvent être les architectes d’une transition vers la justice, car ils incarnent précisément les abus qu’elle prétend corriger. » Robert Petit, chef du Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII) [39] des Nations Unies pour la Syrie à Genève, confirme : « La justice transitionnelle ne peut pas être crédible si elle repose sur des institutions qui ont été complices des crimes. Elle doit s’appuyer sur des acteurs nouveaux, formés, protégés et légitimes. » Noura Ghazi, avocate syrienne et fondatrice de NoPhotoZone [40], dénonce l’absence totale de cadre légal : « Il n’y a aucune loi criminalisant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité en Syrie, aucun tribunal spécialisé, aucun juge compétent. Tout le processus est faussé. Pour qu’il y ait redevabilité, il faut une autorité prête et qualifiée pour la mener, or ce n’est pas le cas. Rien de ce qui se passe aujourd’hui ne correspond aux standards internationaux de la justice transitionnelle. » Elle témoigne également d’une corruption institutionnelle révoltante : « Certains vendent littéralement les dossiers des détenus à leurs familles. On demande de l’argent en échange d’informations, ou même de faux certificats de décès. C’est devenu un marché de la douleur humaine. Ces pratiques ont toujours existé, mais aujourd’hui, c’est pire, parce que l’impunité est totale. Les familles paient, espérant obtenir la vérité sur leurs proches, mais la plupart du temps, elles reçoivent de faux documents. Il n’y a plus aucune confiance dans les institutions. » Au-delà de cette corruption, elle dénonce l’inaction généralisée : « Aujourd’hui, en Syrie, nous n’avons pas d’autorité élue, pas de situation normale. On entend des discours, mais aucune action concrète. Les victimes ont des besoins immenses à tous les niveaux, et rien n’est fait pour y répondre. » Les exemples internationaux montrent que des réformes concrètes sont essentielles pour garantir la non-répétition des abus. En Argentine, la dissolution des organes répressifs et la formation de nouvelles forces de sécurité respectueuses des droits humains ont représenté une avancée majeure. En Afrique du Sud, la réforme de la police et la mise en place d’institutions civiles indépendantes ont freiné les abus. En revanche, l’absence de transformation profonde des forces policières en Bosnie a maintenu les divisions et nourrit une méfiance durable.

De Far Falesteen à Al-Khatib en passant par la tristement célèbre prison de Saydnaya, des quantités colossales de documents ont été brûlées par les forces de l’ancien régime juste avant la chute du régime afin de couvrir leurs crimes. Les combattants de HTS ont été déployés dans les différentes branches afin de protéger le reste des documents pour que les familles et proches puissent les consulter ultérieurement. Photo 1: Far’ Falastin, branche 235 des services de renseignements gardées par des combattants rebelles. 17 Décembre. Photo 2: Al-Khatib, branche 251, centre de détention et de torture de la Direction générale de la Sécurité des services de renseignement où des proches consultent les documents encore disponibles dans l’espoir de retrouver la trace d’un être cher disparu. 11 Décembre 2024. Damas, Damas, Syrie. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Sur le plan forensique [41], la découverte de fosses communes dans les provinces de Damas et de Homs [42] entre autres, illustre l’ampleur des crimes commis. Chaque exhumation ravive la douleur des familles et pose d’importants défis techniques pour identifier les disparus. Un expert en enquêtes ex-Yougoslavie compare ces charniers à ceux de cette région, tout en soulignant qu’en l’absence d’un appareil judiciaire solide, « chaque corps retrouvé risque de devenir une statistique anonyme plutôt qu’une preuve ».

Les recherches ADN sont souvent impossibles faute de moyens, d’experts et de bases de comparaison; des éléments ont été corrompus ou détruits, et des familles entières ont été éradiquées. Cette situation crée une double injustice : les victimes ont été assassinées et leur identification demeure quasiment irréalisable, privant leurs proches d’un deuil digne. Malgré ces obstacles, Noura Ghazi insiste sur l’urgence d’agir : « Même si un jour un mécanisme d’imputabilité voyait le jour, cela prendrait du temps. Mais pendant ce temps, il ne faut pas oublier les besoins immédiats des victimes. » Cette parole rappelle que la justice transitionnelle n’est pas seulement une question de tribunaux et de procès, mais aussi de réponse humaine et immédiate aux souffrances des survivants. Les découvertes de fosses communes à al-Tadamon ont profondément marqué les Syriens ainsi que la communauté internationale. Ces sépultures collectives, révélées grâce à une enquête combinant le travail de chercheurs, le témoignage d’anciens militaires déserteurs et les efforts d’ONG syriennes, mettent en lumière l’ampleur des exécutions extrajudiciaires orchestrées par les forces de sécurité.

Une vidéo publiée en 2022 par les chercheurs Annsar Shahhoud et Uğur Ümit Üngör a confirmé l’existence de ces massacres méthodiques : « des civils, les mains ligotées, y sont exécutés avant d’être jetés dans une fosse par des membres des milices fidèles au régime ». L’enquête a permis d’identifier l’un des responsables directs immortalisés dans cette vidéo, Amjad Youssef, un officier du renseignement militaire, désormais recherché par plusieurs juridictions internationales [43]. L’affaire d’al-Tadamon illustre un phénomène loin d’être isolé. Depuis 2011, d’autres charniers ont été documentés dans plusieurs régions syriennes, notamment à Raqqa, Alep, Deir ez-Zor, Homs, et plus récemment dans les zones rurales de Lattaquié et Sweida. Ces emplacements sont souvent détectés à proximité immédiate de bases militaires ou de centres de détention, selon les observations des équipes locales constituées majoritairement de bénévoles. Pour Iyad Al-Shaarani, ces découvertes revêtent une valeur capitale dans la perspective d’un futur processus judiciaire : « Les fosses communes ne sont pas seulement des preuves matérielles des crimes contre l’humanité. Elles sont aussi un lieu de mémoire pour les familles. Les exhumations devront se faire sous supervision internationale, avec des experts médico-légaux, sinon elles perdront toute crédibilité. »

Le 18 août 2025, Mohammed Reda Jalkhi, président de la Commission Nationale syrienne pour les Disparus (créée en mai 2025) déclarait: « Nous disposons d’une carte recensant plus de 63 fosses communes répertoriées en Syrie ». Selon lui, des travaux étaient en cours pour créer une base de données des personnes disparues. Cependant, Al-Tadamon, triste théâtre macabre de la politique
sanguinaire de l’ancien régime, est un cimetière à ciel ouvert. Quotidiennement, les habitants découvrent des centaines d’ossements dans les décombres. Faute de moyens, ils essaient tant bien que mal de les préserver pour éviter que les chiens errants ne les dispersent ou que les enfants ne tombent dessus. Al-Tadamon, Damas. Syrie. Photo 1-2 : 26 Septembre 2025. Photo 3 : 25 Mai 2025.© Audrey M G./SpectoMédia.

La comparaison avec d’autres situations internationales met en lumière des démarches marquantes dans le traitement des atrocités passées. En Bosnie, par exemple, les efforts déployés pour identifier les victimes du génocide de Srebrenica [44] reposaient sur l’utilisation méthodique de l’analyse ADN et des enquêtes approfondies. Cette approche méticuleuse a permis d’attribuer un nom à chaque corps retrouvé, même si cela a nécessité des années, parfois plusieurs décennies. De manière similaire, en Argentine, les équipes de spécialistes médico-légaux ont joué un rôle central dans la reconnaissance et la documentation des crimes commis pendant la dictature. Ce travail acharné a offert aux Mères de la Place de Mai la possibilité de retrouver la trace de leurs enfants disparus, leur permettant d’organiser des funérailles dignes et de débuter leur chemin vers le deuil.

Ces exemples démontrent que le processus de recherche de la vérité est souvent long et complexe, mais qu’il s’impose comme une étape essentielle pour construire une mémoire collective et instaurer les bases d’une justice durable. Un expert des Nations Unies spécialisé en anthropologie médico-légale, interrogé à Genève, a mis l’accent sur un point crucial. Selon lui, l’exhumation des fosses communes syriennes constitue un moment déterminant. Si cette opération est menée avec soin, rigueur scientifique et totale transparence, elle pourrait représenter une pierre angulaire pour inaugurer un véritable processus de justice transitionnelle. Dans le cas contraire, si ces travaux sont réalisés à la hâte ou exploités à des fins politiques, le risque est grand d’aggraver les divisions et d’alimenter un climat de méfiance déjà profondément ancré. Pour autant, après la dictature franquiste (1939-1975), l’Espagne a longtemps choisi la réconciliation nationale à travers le silence : une amnistie générale, aucune poursuite, et des milliers de familles laissées sans vérité sur le sort de leurs proches exécutés puis enterrés dans des fosses anonymes.

Pendant des décennies, ces fosses sont restées enfouies comme un angle mort de la Transition, symbole d’un « pacte de l’oubli » présenté comme le prix à payer pour la démocratie. Mais au début des années 2000, quelque chose bascule : des familles, des historiens et des associations lancent un mouvement puissant, le tournant forensique, qui redonne un corps, au sens propre, à la mémoire du franquisme. Des équipes d’archéologues et d’anthropologues commencent à ouvrir les fosses, identifier les victimes, restituer les restes, et offrir enfin des sépultures et des noms. Ce travail médico-légal, lent et bouleversant, a fait vaciller le récit confortable de la réconciliation sans vérité : il a montré que la paix n’efface pas l’injustice, et qu’aucune démocratie ne peut se construire durablement sur des corps oubliés. L’Espagne a dû réapprendre à regarder son passé en face — non pour rouvrir les plaies, mais pour que justice et mémoire deviennent enfin des fondations solides du présent.

La justice transitionnelle dépasse le cadre formel des institutions ; elle trouve un écho profond dans les espoirs et les aspirations des survivants. Iyad Al-Shaarani résume cette tension avec une métaphore saisissante : « La douleur des victimes est un volcan sous la surface. Si nous n’ouvrons pas un espace de vérité et de justice, ce volcan explosera un jour. » Lors d’une réunion à Yarmouk [45], une représentante des familles syriennes de personnes disparues a conclu son discours par des mots empreints de détermination : ces familles n’ont pas besoin de compassion superficielle ou de promesses vides, mais d’une vérité inaliénable servant de fondement à toute démarche vers une justice authentique. Elle a rappelé que la vérité constitue toujours la première étape sur ce chemin exigeant vers la réconciliation et la réparation : « Nous n’avons pas besoin de pitié, nous avons besoin de vérité. Et la vérité est la première étape vers la justice. » De son côté, Jad al-Hamada, neveu du militant Mazen al-Hamada [46] et initiateur des Tentes de la Vérité [47] à Jaramana, estime : « On a besoin de savoir ce qui s’est passé. On a besoin d’une compensation, matérielle ou immatérielle. La compensation ne signifie pas nous offrir un panier de fruits, mais préserver la mémoire, raconter ce qui s’est passé, donner aux écoles ou aux places le nom des personnes disparues. Je pense que les gens commencent à comprendre que nous devons traiter les responsabilités. » La justice transitionnelle progressera réellement lorsque tous les Syriens y adhèreront pleinement. Les initiatives telles que les Tentes de la Vérité jouent un rôle crucial en diffusant cette idée au sein des différentes communautés.

En Syrie après Assad, les Tentes de la Vérité permettent aux familles des victimes de s’exprimer sur vérité et justice. Ici à Yarmouk, communément appelé Little Palestine, plusieurs familles se sont réunies pour évoquer cette quête indispensable de vérité et de justice. Grâce aux Tentes de la Vérité, il devient possible de permettre à l’ensemble des Syriens de comprendre les convictions des familles des victimes. L’organisation locale Casa Palestina fondée par le Dr Khaldoun al-Mallah (photo 4) se joint à tous les rassemblements des familles pour les soutenir. Yarmouk, Damas, Syrie. 30 Mai 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Le procès de Nuremberg reste une pierre angulaire de la justice internationale. Pour la première fois, des dirigeants d’un régime ont été jugés non pas uniquement en tant que responsables politiques, mais en tant que criminels contre l’humanité. L’introduction des accusations de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité a tracé le chemin vers une conception universelle de la responsabilité pénale des dirigeants. Selon un ancien juge du Tribunal de Nuremberg, cité par l’ONU : « Ce procès n’a pas été seulement celui des nazis, mais celui de l’idée que les chefs d’État peuvent tuer en toute impunité. » Cette innovation juridique, bien qu’influencée par les rapports de force de l’époque, demeure un précédent fondamental pour des contextes comme celui de la Syrie. Une transition crédible dans ce pays ne saurait être envisageable sans que les responsables, qu’ils soient au sommet de l’État ou simples exécutants, soient confrontés à leurs actes.

Toutefois, l’expérience du TPIR a révélé ses limites : seuls 62 criminels y ont été jugés. Comme le notait Alison Des Forges, historienne affiliée à Human Rights Watch [48], le cas rwandais montre qu’une justice imposée de manière unilatérale ne suffit pas : « Le Rwanda nous enseigne qu’une justice imposée d’en haut ne suffit pas. Elle doit être accompagnée de mécanismes locaux où la société se reconnaît. » Cela suggère la nécessité d’un équilibre entre une juridiction internationalisée et des dispositifs communautaires capables de répondre aux attentes de millions de victimes dispersées à travers le pays. Dans l’ex-Yougoslavie, les procès ont également eu un impact mondial, établissant la responsabilité des dirigeants militaires et politiques. Cependant, leur lenteur et leur éloignement ont souvent suscité frustration et désenchantement dans les Balkans. Comme l’a souligné Mirsad Tokača, directeur du Centre de recherche et de documentation de Sarajevo : « Les jugements du TPIY sont essentiels pour l’Histoire, mais ils n’ont pas guéri les blessures des communautés locales. » La Syrie pourrait tirer un enseignement crucial de cette expérience : bien que la justice internationale soit essentielle, elle doit impérativement s’accompagner de démarches favorisant une réconciliation nationale durable.

L’exemple de l’Argentine illustre un autre modèle marquant : après la fin de la dictature militaire (1976-1983), le pays a instauré la Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP) [49]. Son célèbre rapport intitulé « Nunca Más » a répertorié plus de 13 000 cas de disparitions forcées, ouvrant ainsi la voie à des procès historiques. Les Mères de la Place de Mai, ces femmes qui se rassemblent chaque semaine à Buenos Aires en brandissant les photos de leurs enfants disparus, sont devenues un symbole universel de la lutte pour la mémoire et la justice. Ce cheminement fait écho aux initiatives syriennes, telles que les Tentes de la Vérité ou les collectifs de familles de disparus. Comme l’exprime Nora Cortiñas, figure emblématique des Mères de la Place de Mai : « Nous ne cherchons pas la vengeance, mais la vérité. Et la vérité est la seule justice qui dure. »

Les expériences du Rwanda, de la Bosnie et de l’Argentine apportent des enseignements précieux pour envisager l’avenir de la justice en Syrie. Les procès de Nuremberg ont démontré l’importance d’établir la responsabilité des dirigeants au plus haut niveau. L’exemple du Rwanda met en lumière la complémentarité entre les tribunaux internationaux et les mécanismes communautaires. La Bosnie illustre la nécessité d’éviter une approche judiciaire trop distante des victimes, tandis que l’Argentine souligne le rôle fondamental de la mémoire et des familles de disparus dans le processus de réconciliation. Iyad Al-Shaarani rappelle : « Si la Syrie reproduit le modèle libanais de l’amnistie générale, elle signera la répétition de ses guerres. Si elle suit le chemin du Rwanda ou de l’Argentine, elle peut espérer rompre avec son passé sanglant. »

Une nouvelle étape s’est ouverte. Le travail du MIII et les mandats d’arrêt émis par les juridictions européennes contre de hauts responsables syriens, y compris Bachar al-Assad, ont renforcé la conviction qu’aucun crime ne doit rester impuni. Des archives César aux fosses communes découvertes, ces jalons ont permis la reconnaissance mondiale des atrocités perpétrées. Mais derrière ces données se cachent surtout les récits bouleversants des survivants et des familles. Dans un témoignage recueilli par Human Rights Watch, un ancien détenu de Saydnaya confie : « Chaque nuit, les gardiens venaient chercher des prisonniers. Nous ne les revoyions jamais. J’ai survécu, mais une partie de moi est restée enfermée dans cette prison.» [50] À Sweida, une mère interrogée par Amnesty International raconte : « Je ne sais pas si mon fils est vivant ou mort. Ils ne me disent rien. Comment une mère peut-elle vivre ainsi ? » [51] Un survivant de la prison de Tadmor témoigne auprès du Syrian Justice and Accountability Centre [52] : « Ils nous avaient réduits à des numéros. Ils voulaient effacer ce que nous étions. » [53]. Um Mahmoud, mère du premier martyr de la révolution à Daraa, porte en elle une douleur intacte. Mahmoud ne participait ni à la guerre ni à la révolution; il regardait la manifestation, les mains dans ses poches. Puis, il a été touché, au cœur, “juste comme ça”. Ce 18 mars 2011, son fils est devenu le premier martyr d’un drame qui a arraché des milliers de vies et laissé derrière lui un vide qui ne se refermera jamais. « Je veux la justice pour lui, pour tous ceux que Bachar a assassinés, pour que tout le monde sache », dit-elle, sa voix mêlant colère et épuisement, mais aussi une détermination qui refuse l’oubli.

Um Mahmoud, mère du premier martyr de la révolution à Daraa, berceau de la révolution syrienne. Elle témoigne de son besoin de justice, non seulement pour son fils Mahmoud Al Jawabreh, assassiné par l’armée de l’ancien régime lors d’une manifestation pacifique, pour elle mais aussi pour son pays tout entier et toutes les familles endeuillées. « Je ne dors plus parce que je ne peux pas oublier. Quand justice sera rendue, Inchallah, je pourrais commencer à connaître la paix ». Daraa, Daraa, Syrie. 28 Avril 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Aujourd’hui, la Syrie est confrontée à des défis immenses pour reconstruire son tissu social, politique et judiciaire. Les appels à la réforme du système judiciaire résonnent à travers les témoignages et les rapports. Dans un rapport publié en 2025, le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme [54] souligne que, sous l’ancien régime syrien, « les juges n’avaient pas l’indépendance nécessaire pour s’opposer aux exigences des services de sécurité », et que « les magistrats étaient soumis à une pression constante, rendant impossible la garantie d’un procès équitable ». En substance, plusieurs anciens magistrats décrivent cette réalité de la même manière : ils expliquent avoir validé des condamnations qu’ils savaient iniques, non par conviction mais par peur, convaincus que refuser d’obéir revenait à risquer leur propre disparition. Après la chute du régime, beaucoup se sont attendus à voir disparaître tout un pan de l’appareil judiciaire syrien. Mais dans les tribunaux, derrière les bureaux et les piles de dossiers poussiéreux, ce sont souvent les mêmes juges qui continuent aujourd’hui d’exercer. Ce n’est pas parce qu’ils ont été blanchis de toute responsabilité. C’est surtout parce qu’ils ont longtemps évolué dans un système où l’indépendance n’existait pas : les magistrats faisaient donc partie d’un appareil instrumentalisé par le régime pour valider des procès politiques, des condamnations forcées ou des décisions inspirées par les services de sécurité. Parfois sous la menace directe. Certains le disent aujourd’hui : ils ont signé des condamnations qu’ils savaient injustes, mais refuser équivalait à mettre leur propre vie en danger. Dans la Syrie en reconstruction, on n’a pas pu les écarter.

Le pays manque de magistrats formés, de juristes capables de prendre la relève, et l’effondrement total de la justice aurait laissé un vide périlleux. Alors ces juges sont restés, non pas comme symboles d’un passé révolu, mais comme rouages indispensables d’un système qu’il faut maintenir debout, le temps de reconstruire. Ils connaissent les tribunaux, les procédures, les archives, les codes ; leur expertise est aussi encombrante qu’indispensable dans cette période de transition. Pourtant, leur présence rappelle chaque jour les ambiguïtés de l’après-régime : comment réformer une justice dont les acteurs ont servi, volontairement ou non, une machine de répression ? Comment bâtir un système nouveau avec celles et ceux qui ont travaillé dans les ombres de l’ancien ? C’est l’un des nœuds les plus délicats de la justice transitionnelle syrienne : avancer, alors même que les gardiens de l’appareil répressif d’hier occupent encore les sièges du tribunal.

La protection des témoins est un autre enjeu profondément sensible. Nombreux sont ceux qui hésitent encore à partager leurs récits, craignant des représailles. Un survivant de Saydnaya [56], confie : « J’ai tout vu, mais je ne peux pas témoigner publiquement. Les milices qui m’ont torturé vivent encore dans mon quartier. Qui me protégera si je parle ? » Ces mots révèlent la peur qui demeure, mais aussi l’importance vitale de créer des espaces sûrs où les survivants peuvent parler sans risquer leur vie. Le récit collectif que trace ce passage n’est pas une simple chronique de douleur: c’est une invitation à regarder la réalité avec une humanité renouvelée et une promesse d’action. L’établissement d’une commission vérité est perçu comme une étape cruciale par ceux qui ont vu leurs proches disparaître et leurs voix étouffées par la peur.

Abu Ahmed, rescapé du massacre d’Al-Tadamon, dont le frère a été exécuté par le régime, parle d’un besoin vital : « Les fosses communes parlent, mais elles ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un lieu officiel, reconnu, où nos histoires seront écrites et où nos morts auront enfin un nom. » C’est une requête simple et humaine: mettre des noms sur des vies perdues afin que les familles puissent commencer à faire leur deuil et à retrouver une certaine dignité. Ces mots ne narrent pas seulement le chagrin d’une famille; ils portent la mémoire collective d’une nation qui cherche encore à comprendre ce qui s’est passé et à nommer ce qui a disparu. Les tribunaux ne suffisaient pas, et ne suffiraient jamais, tant les crimes étaient nombreux et les victimes innombrables. C’est dans ce contexte que, en février 2025, a été officiellement créée la Commission Vérité [57] syrienne : un espace chargé d’écouter, de documenter et de reconnaître ce que des décennies de violence avaient enfoui. Pour les familles, elle représente la seule chance de voir consigné quelque part ce que les archives officielles avaient cherché à effacer : les noms des morts, les histoires des disparus, les voix des survivants. Cette commission a pour mission d’enquêter sur les violations commises par toutes les parties, de révéler les structures qui ont rendu possibles la répression et les abus, des prisons secrètes aux chaînes de commandement, en passant par les milices et la faillite progressive de l’État de droit. Elle est pensée comme un pont : un pont fragile mais nécessaire entre les victimes et l’État, entre la mémoire et la justice, entre le deuil et l’avenir. Sa création exige un mandat clair, une indépendance réelle, une protection renforcée pour les témoins et, surtout, la volonté politique d’accepter que la vérité puisse déranger. 

Abu Ahmed, rescapé du massacre d’Al-Tadamon, dont le frère a été exécuté par le régime, parle d’un besoin vital: « Les fosses communes parlent, mais elles ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un lieu officiel, reconnu, où nos histoires seront écrites et où nos morts auront enfin un nom. » C’est une requête simple et humaine: mettre des noms sur des vies perdues afin que les familles puissent
commencer à faire leur deuil et à retrouver une certaine dignité. Al-Tadamon, Damas, Syrie. 26 Septembre 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Pourtant, dans un pays où les fosses communes s’ouvrent encore et où des familles accrochent chaque jour les portraits de leurs proches dans les Tentes de la Vérité, cette commission apparaît comme l’un des rares instruments capables de réparer symboliquement ce qui ne pourra jamais l’être totalement. Elle ne ramènera pas les morts et ne fera pas réapparaître les disparus, mais elle peut offrir à la Syrie ce qui lui a tant manqué depuis 2011 : un récit commun, une mémoire partagée, un premier geste pour sortir du silence imposé et redonner aux victimes une place centrale dans l’histoire du pays. La Syrie, pourtant marquée par ces violences, ne cesse d’avancer sous le signe d’un espoir fragile mais tenace : la possibilité de reconstruire ce que la guerre a dévasté, de redonner voix à ceux qui l’ont perdue et de proposer à chaque personne touchée par le conflit une chance de dignité et de reconnaissance.

Le mur de l’enceinte de l’hôpital al-Mujtahid de Damas, est orné des centaines de portraits de disparus et de corps en cours d’identification (Photo 1). Damas, Damas, Syrie. 15 Décembre 2024. Pendant des semaines, les familles se sont précipitées dans l’espoir d’y voir celui d’un être cher enlevé par le régime. À Saydnaya, des centaines de familles sont restées des journées entières après la libération de la prison dans l’espoir de retrouver la tracer d’un de leurs proches enlevé par le régime. (Photo 2). Saydnaya,
Damas, Syrie. 10 Décembre 2024. La justice transitionnelle commence souvent par un geste simple : redonner un nom, une histoire et une sépulture aux victimes anonymes de la barbarie. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Les voies de la résistance

Au-delà des tribunaux, une justice s’écrit dans l’ombre : celle portée par les familles de disparus, les rescapés des prisons et la société civile syrienne. Sans moyens officiels, souvent menacés et exilés, ces acteurs préservent la mémoire et luttent contre l’oubli. Leurs actions constituent une pierre angulaire dans la quête de vérité et de justice. Depuis plus de dix ans, des milliers de familles réclament la vérité sur le sort de leurs proches disparus, que ce soit dans les geôles du régime, sous Daech ou après les bombardements. Des initiatives transnationales, comme Familles pour la Liberté [58], rappellent que le droit de savoir est fondamental. La voix des survivants révèle une tragédie collective et la vérité apparaît comme une force capable de contenir la soif de vengeance et de réparer les brèches ouvertes par la guerre.

Dès 2016, alors que les bombardements continuaient d’endeuiller la population, le collectif Families for Freedom a vu le jour. Il rassemble mères, sœurs et filles de disparus. Arborant des foulards immaculés comme symboles, ces femmes ont sillonné les capitales européennes pour revendiquer vérité et justice. Leur slogan, « Pas de paix sans nos disparus », est devenu un cri de ralliement universel. Amina Khoulani, l’une des fondatrices, déclarait lors d’une conférence tenue à Bruxelles : « Nous ne sommes pas de simples victimes. Nous sommes les gardiennes de la mémoire et nous refusons que le monde oublie nos proches. » Des collectifs multiplient les initiatives destinées à préserver la mémoire commune. Les Tentes de la Vérité, installées à Jaramana [59] et Yarmouk, ne sont pas seulement des lieux de commémoration: ce sont des espaces où l’on écoute des récits susceptibles de se dissiper dans le bruit des discours officiels et de l’inaction générale. Des structures modestes, souvent improvisées et sans soutien institutionnel, brisent le silence qui pèse sur les familles. Pour Iyad Al-Shaarani, ces tentes portent une promesse : « Elles ne sont pas seulement des lieux de mémoire; elles sont le premier tribunal du peuple. Chaque témoignage est une pièce à conviction, chaque photo un acte d’accusation. » La voix des survivants transforme le souvenir en action et nourrit l’espoir que la douleur puisse servir à protéger les plus vulnérables.

La Syrie pourrait envisager une approche mixte adaptée à sa réalité : commissions vérité et mémoire locales pour documenter les crimes, procès nationaux et internationaux pour juger les responsables, et espaces communautaires de dialogue inspirés des pratiques syriennes et des mécanismes tels que les Gacaca. Leur réussite, cependant, dépendra de la volonté politique et de l’inclusion effective des victimes. À Jaramana, Amani Abboud, ancienne prisonnière politique, cherche des réponses plutôt que des représailles : savoir où se trouve son frère et ce qui lui est arrivé. Sa conviction est que la justice ne se limite pas à un tribunal lointain comme La Haye; il faut retrouver les disparus, leur offrir une sépulture et permettre le deuil. Iyad Al-Shaarani insiste sur l’importance d’inscrire officiellement la voix des victimes dans les archives et les décisions judiciaires; la justice transitionnelle dépend de la transformation de la douleur individuelle en reconnaissance collective.

Des organisations comme SCM (Syrian Center for Media and Freedom of Expression)  [60] et SNHR (Syrian Network for Human Rights) [61] répertorient les violations afin d’étayer les procès futurs; leurs archives donnent des vies et des voix à qui rendre justice. Des expériences internationales montrent l’impact des témoignages publics sur la guérison collective. La mémoire est essentielle à l’identité et à la réconciliation. Les Mères de Srebrenica, les Mères de la Place de Mai, et la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud ont placé le témoignage des victimes au cœur du processus. Fabian Salvioli, juriste et expert argentin en droits humains, ancien président du Comité des droits de l’homme de l’ONU, rappelle que : « le droit à la vérité, à la justice et à la réparation est universel ». La mémoire des proches disparus est liée à leur identité, et la justice transitionnelle dépend de la capacité de la société à construire une mémoire partagée.

Amani Abboud, ancienne prisonnière politique et activiste au sein des Tentes de la Vérité de Jaramana, cherche des réponses plutôt que des représailles: savoir où se trouve son frère et ce qui lui est arrivé. Jaramana, Damas, Syrie. 21 Avril 2025 © Audrey M-G./SpectoMédia.

L’organisation NoPhotoZone et l’action locale jouent un rôle concret dans l’activation de cette mémoire. Initiative fondée par l’activiste et avocate syrienne Noura Ghazi, illustre cette dynamique locale et issue de la diaspora et renforce la voix des familles, en particulier des mères et des proches des détenus. Selon Noura Ghazi : « La justice transitionnelle doit commencer au niveau local, dans les communautés, avec les récits du quotidien. » NoPhotoZone est un espace pour raconter leur histoire, comprendre leurs droits et trouver une place dans la société. Noura Ghazi fait aussi partie de l’association Families for Freedom au côté de d’Amina Khoulani et Wafa Mustafa. Elle souligne également le rôle fondamental des femmes dans ce processus : « Les femmes syriennes ont tout porté sur leurs épaules. Elles ont été les premières à subir la guerre, à perdre leurs maris, leurs fils, leurs maisons. Mais ce sont aussi elles qui ont tenu les familles debout, qui ont gardé les enfants en vie, qui ont cherché la vérité quand plus personne n’osait le faire. Pourtant, dans les processus de décision, on ne les écoute presque jamais. Les femmes doivent être au cœur de la reconstruction, pas à la périphérie. Elles ont une légitimité que personne d’autre n’a, parce qu’elles ont vécu la guerre de l’intérieur. »

Le travail est difficile de par la honte, le deuil et l’insécurité mais ces voix alimentent une mémoire partagée et préparent des transitions plus justes. Sur le plan juridique et documentaire, la Syrie illustre les limites du droit international face à des crimes de masse: de nombreuses résolutions liées au conflit ont été bloquées, retardant l’action de la CPI. Le droit universel à la vérité, à la justice et à la réparation demeure : lorsque les juridictions internationales sont paralysées, les juridictions nationales prennent le relais. La CIJA (Coalition for International Justice in Syria) [62] a collecté plus de 800 000 documents officiels; Human Rights Watch, Amnesty International et des groupes comme Caesar Families [63] et les Tentes de la Vérité ont rassemblé des milliers de témoignages et des preuves visuelles; le MIII dispose de millions de preuves numériques. Cette documentation est cruciale pour contrer l’effacement des crimes de guerre et contre l’humanité et des victimes. Depuis plus de dix ans, des millions de Syriens ont été forcés de fuir, trouvant refuge au Liban, en Jordanie, en Turquie, et en Europe et Amérique du Nord. La diaspora syrienne joue un rôle crucial dans la lutte pour la justice: associations, collectifs de survivants et réseaux d’avocats en exil documentent les crimes, recueillent des témoignages et portent la voix des victimes sur la scène internationale. Partout où ils se mobilisent, ils rappellent que la mémoire du conflit ne saurait être effacée. Iyad Al-Shaarani affirme que la diaspora est « la gardienne d’une mémoire collective que le régime cherchait à anéantir ». Cette mobilisation déclenche aussi des avancées juridiques au-delà des frontières syriennes. En réaction, certains États européens ont recouru à la compétence universelle [64]: En Allemagne, le procès de Coblence (2020-2022) a condamné Anwar Raslan pour crimes contre l’humanité, marquant une étape majeure. En France, les efforts des associations en exil ont nourri des enquêtes menant à des mandats d’arrêt contre Bachar al-Assad et d’autres responsables. Bien que partielles, ces victoires montrent que la justice transitionnelle peut dépasser le cadre national.

La campagne de Familles pour la Liberté dépeint l’agonie et la lutte de toutes les familles syriennes qui ont subit la perte ou la disparition d’un être cher détenu. Les femmes du collectif poursuivent leurs efforts pour inclure le plus grand nombre de familles, indépendamment de leur secte religieuse, pour que la vérité soit faite sur le sorts de leurs disparus et que justice soit rendue. Al Marjeh Square. Damas, Damas, Syrie. 25 Mai 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Parallèlement, la diaspora déploie des initiatives culturelles et mémorielles pour préserver l’histoire à travers des récits humains : expositions, pièces de théâtre et documentaires donnent une voix aux tragédies individuelles. En l’absence d’un processus officiel en Syrie, elle devient un rempart contre l’oubli et cherche à relier un passé atroce à un avenir à reconstruire. Les plateformes numériques de la diaspora, telles que SyriaUntold [65] ou Creative Memory of the Syrian Revolution [66], entretiennent une mémoire vivante en transmettant récits, œuvres artistiques et témoignages entre générations.

La réalisation et projections de films tels que For Sama (2019) réalisé par Waad al-Kateab et Edward Watts qui suit la vie d’une jeune mère syrienne à Alep pendant la guerre civile; The Cave (2019) réalisé par Feras Fayyad, documentaire immersif sur une clinique médicale souterraine dirigée par le docteur Amani Ballour dans la Ghouta est de Damas sur l’organisation des soins hospitaliers dans des conditions précaires et le travail des médecins et du personnel médical; The White Helmets (2016) réalisé par Orlando von Einsiedel , documentaire d’observation sur le quotidien des Casques blancs (Civil Defense) en Syrie, mettant en lumière leurs opérations de sauvetage dans des zones bombardées et les risques encourus mettant en lumière le travail humanitaire et le courage civique; Last Men in Aleppo (2017) réalisé par Feras Fayyad , documentaire de terrain et portrait collectif suivant un groupe d’habitants, militants et Casques blancs à Alep sur une période prolongée, illustrant la dure réalité des combats urbains et des opérations humanitaires avec des témoignages directs ou City of Ghosts (2017) réalisé par Matthew Heineman documentaire journalistique sur un groupe de journalistes civils syriano-américains qui documentent la vie à Raqqa sous le contrôle de l’EI et les conséquences humanitaires, avec une approche d’enquête immersive et un accent sur le rôle des médias citoyens en contexte de guerre sont autant de preuves essentielles et d’éléments de mémoire à conserver pour servir la justice transitionnelle.

Ulrike Capdepón [67] rappelle que : « la mémoire est devenue un pilier essentiel des débats et des pratiques de la justice transitionnelle »  [68] et insiste : « Les initiatives judiciaires et les initiatives mémorielles sont profondément interconnectées et se renforcent mutuellement. » [69]

Douma (Ghouta orientale près de Damas) a été le théâtre de nombreuses attaques chimiques perpétrées par le régime syrien. Des centaines de civiles ont été blessées et tuées, déclenchant une forte réaction internationale et des enquêtes menées par l’ONU et l’OPCW (Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons). L’hôpital souterrain de Douma (photo 1,2), vestiges de ces crimes et témoin de comment la défense civile a tenté de sauver le plus de victimes sans moyen au péril de leur vie. Les portraits des martyrs de l’attaque chimique du 1er Avril 2018 ornent toujours l’entrée de l’immeuble qui a été visé pour ne pas oublier (photo 4). Douma, Ghouta Orientale, Syrie.. 28 Avril 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.

Aujourd’hui, alors que le régime du clan Assad n’est plus, les médias continuent à jouer un rôle central dans ce processus. Leur mission ne se limite plus à documenter les crimes, ils doivent aussi transmettre, contextualiser et contribuer à transformer la perception collective. L’activiste syrienne Amani Abboud souligne l’enjeu essentiel de ce travail : « Sans mémoire partagée, la justice n’a pas de sens. Les témoignages, les images, les récits : tout cela doit être transmis aux nouvelles générations pour qu’elles ne reproduisent pas les erreurs du passé. » Le travail conjoint des journalistes, collectifs citoyens et ONG de documentation édifie ainsi une mémoire plurielle que les tentatives d’effacement ne parviennent pas à anéantir. Que ce soit en Syrie, en Argentine, en Bosnie ou en Allemagne, la transmission de cette mémoire conditionne la possibilité même d’accéder à la justice. Dès les premières mobilisations à Deraa en mars 2011, les médias indépendants et les journalistes citoyens ont été déterminants. Avec de simples téléphones, ils ont capturé les répressions et diffusé ces enregistrements, rompant le monopole narratif du régime. Sans eux, des massacres comme Houla, Daraya, Alep, et le siège de Yarmouk auraient probablement été oubliés. Cette documentation visuelle a nourri des archives cruciales pour la justice transitionnelle, même si la mémoire restait contestée par le régime et ses alliés. Le conflit s’est transformé en bataille de récits et de propagande. Les archives et les données jouent un rôle clé: le Syrian Archive [70] répertorie et vérifie des millions de vidéos et documents; le SNHR recense les victimes et disparus; le Caesar Files Group [71] rassemble des témoignages et des preuves qui soutiennent les enquêtes. Ces ressources ont été déterminantes dans des procès internationaux, en soutenant les témoignages directs, les photographies et les rapports d’organisations. À Beyrouth, le journaliste Hadi Abdullah souligne que sans images et récits, le régime aurait enfoui la vérité avec les victimes. En Syrie, la mémoire ne se limite pas à l’archivage: elle guide les poursuites, donne une voix aux victimes et influe sur la perception publique. Amani Abboud rappelle que transmettre cette mémoire donne un sens à la justice et empêche les nouvelles générations de répéter les erreurs du passé. Dialoguer avec les témoignages et les archives permet de transformer le récit personnel en mémoire partagée et les actes symboliques en justice concrète. La rapidité et la crédibilité du processus détermineront sa légitimité et son impact sur la société syrienne, afin d’éviter que l’histoire des disparus soit oubliée et que le cycle des violences se répète. Amani confie : « Ce qui me fait le plus peur, c’est que l’histoire de mon frère disparu soit oubliée. Si nous ne racontons pas, le régime aura gagné deux fois : en le tuant et en effaçant son souvenir. » Les médias, la mémoire collective et les réseaux diasporiques constituent ainsi des leviers essentiels de la justice transitionnelle en Syrie. Ils alimentent la vérité, légitiment les futures procédures et veillent à ce que les voix des victimes ne tombent pas dans l’oubli. Cette mémoire documentée a déjà pris corps dans des procès et continue d’éclairer les enquêtes et les actions politiques. Toutefois, la justice ne peut être complète sans une présence sur le territoire syrien. Comme l’a souligné Pablo de Greiff, expert colombien en justice transitionnelle et premier Rapporteur spécial des Nations Unies sur la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition, les diasporas issues des conflits ont un rôle important à jouer, mais les mécanismes de justice transitionnelle doivent avant tout s’ancrer dans le pays où les crimes ont été commis, afin de reconstruire le tissu social et rétablir la confiance. [72]

Réconciliation nationale

La Syrie ne peut pas mener sa justice transitionnelle isolée; elle doit s’appuyer sur des réflexions externes et tirer des leçons des pays voisins. Hadeel Abdel Aziz, directrice du Justice Center for Legal Aid [73] à Amman, rappelle que les réformes judiciaires doivent s’appuyer sur les expériences étrangères sans les reproduire mécaniquement et recommande d’inspirer et d’innover [74]. En Syrie, cela implique de construire un modèle hybride, adapté aux réalités sociopolitiques et communautaires, plutôt que d’importer des solutions toutes faites. Maha Yahya, experte au Carnegie Middle East Center [75], illustre les dangers de l’amnistie générale : la loi d’amnistie adoptée au Liban après 1990 a permis aux chefs de milices de se recycler en responsables politiques, tout en effaçant la mémoire de la guerre et en empêchant un débat public sur les crimes commis. Ce modèle a nourri un profond déficit de confiance et une corruption persistante. La Syrie doit éviter ce piège [76]. L’héritage de cette amnésie reste lourdement ressenti au Liban, notamment sous la forme d’un déficit de confiance citoyenne et d’une corruption profondément enracinée. Pour Maha Yahya, la Syrie devra éviter de tomber dans ce piège en adoptant une approche différente qui ne sacrifie ni la mémoire collective ni les revendications de justice.

Le Liban, contre exemple de la justice transitionnelle. L’adoption de la loi de l’amnistie après 1990 a permis aux chefs de milices de se recycler en responsables politiques, tout en effaçant la mémoire de la guerre et en empêchant un débat public sur les crimes commis. Ce modèle a nourri un profond déficit de confiance et une corruption persistante. Beyrouth, Liban. 8 Novembre 2022. © Audrey M-G./ SpectoMédia.

Iyad Al-Shaarani met également en lumière l’importance du contexte régional en tant que source d’apprentissage. Selon lui, les exemples des voisins arabes de la Syrie sont riches d’enseignements sur ce qu’il faut impérativement éviter. Il soutient avec conviction que la Syrie se trouve aujourd’hui devant une occasion unique : prouver qu’un pays arabe est capable de regarder son histoire en face avec transparence: « Nos voisins nous montrent ce qu’il ne faut pas faire. La Syrie a l’occasion, rare, de démontrer qu’un pays arabe peut affronter son passé de manière transparente, en écoutant les victimes et en refusant les compromis avec les criminels. » Le Liban a choisi l’oubli et la Jordanie la stabilité au détriment de réformes structurelles. La Syrie doit choisir entre une amnésie passagère et un processus ardu mais nécessaire de justice et de réconciliation, qui implique d’écouter les récits des victimes et de confronter la vérité. Pour les familles traumatisées, la réconciliation suppose la vérité: une mère d’Hama interroge, « le pardon demandé est vide de sens si les disparus ne sont pas localisés. Comment parler de réconciliation sans vérité ? » La CIJA insiste : « sans mémoire et documentation des crimes passés, tout processus de réconciliation repose sur le déni. » Les leçons internationales montrent un dilemme commun: en Afrique du Sud, la vérité et réconciliation a ouvert le dialogue national mais avec des amnisties controversées; au Rwanda, les Gacaca ont apporté un apaisement local tout en nourrissant parfois des rancœurs; en Bosnie-Herzégovine, les Accords de Dayton ont mis fin aux combats mais figé les divisions; en Argentine, les procès des juntas et les politiques mémorielles ont démontré l’importance de l’interconnexion entre justice et mémoire.

Au-delà des dimensions juridiques, les séquelles psychologiques sont profondes: Médecins Sans Frontières [77] et le Syrian Center for Policy Research [78] montrent que plus de la moitié des Syriens souffrent de traumatismes; un ancien détenu de Saydnaya explique que, après la libération, il ne peut croiser le regard de ses voisins et doit réapprendre à vivre. Paulo Pinheiro, président de la Commission d’enquête internationale de l’ONU sur la Syrie, chargée de documenter les violations graves commises depuis 2011, rappelle que sans vérité et justice, parler de réconciliation serait illusoire, mais une réconciliation imparfaite demeure indispensable pour habiter à nouveau un destin commun. Noura Ghazi précise : « Aujourd’hui, en Syrie, nous n’avons pas d’autorité élue, pas de situation normale. On entend des discours, mais aucune action concrète. Les victimes ont des besoins immenses à tous les niveaux, et rien n’est fait pour y répondre. » Elle évoque notamment le sort des anciens prisonniers : « Ils ont besoin d’être réhabilités, réintégrés dans la société, accompagnés psychologiquement. Rien n’est prévu à ce niveau. » Sans action concrète des nouvelles autorités ni une volonté réelle de replacer les victimes et leurs familles au centre de ce processus de justice transitionnelle, la réconciliation nationale allant de paire ne pourra se faire. 

La Syrie doit donc envisager une combinaison d’approches: commissions vérité et mémoire locales, procès nationaux et internationaux, et espaces de dialogue communautaire s’inspirant des pratiques syriennes et des mécanismes comme les Gacaca, tout en assurant l’inclusion réelle des victimes. Comme l’indiquent les expériences voisines, une réconciliation sans mémoire ni responsabilité est insoutenable; cet objectif ambitieux pourrait devenir non seulement un modèle pour la région, mais aussi un pas décisif vers une société plus juste et plus résiliente.

Parmi les domaines les plus délicats et déterminants de la justice transitionnelle en Syrie figure l’éducation. Après plus d’une décennie de guerre marquée par l’exode, la destruction d’écoles et l’interruption des parcours pédagogiques, le défi dépasse largement la simple réouverture des salles de classe ou la fourniture de manuels scolaires. L’enjeu réside dans le choix de la mémoire collective à transmettre aux générations futures. Dans certaines zones, des enfants n’ont connu que la guerre et l’exil, tandis que d’autres ont grandi sous l’emprise du régime, avec des manuels glorifiant son autorité tout en omettant les crimes perpétrés. Ce décalage mémoriel est lourd de conséquences. S’il demeure ignoré, il risque de reproduire, dans les écoles, les divisions profondes qui ont alimenté le conflit. Comme l’a souvent souligné Francesco Bandarin, ancien responsable de la culture à l’UNESCO [79], les manuels d’histoire ne sont jamais neutres et, s’ils occultent ou déforment les atrocités commises, ils risquent d’alimenter de nouveaux cycles de violence : « L’éducation à l’histoire doit permettre de comprendre les causes profondes des conflits, de reconnaître les souffrances et de contribuer à empêcher que les violences ne se répètent. » [80]. L’avocat Iyad Al-Shaaran insiste pour sa part sur l’importance d’intégrer dès aujourd’hui dans l’éducation la vérité sur les disparitions forcées, la torture et les fosses communes, pour permettre aux jeunes Syriens de comprendre pleinement l’héritage du passé.

Selon lui, « l’éducation doit être le premier antidote contre le déni. » Une demande également formulée par Um Karam, rencontrée à Darayya en Octobre 2025, dont les époux ont tous les deux été détenus à Saydnaya: « Il n’y a pas eu autant de noirceur ni d’oppression dans d’autres pays comme ce que nous avons pu subir ici en Syrie ». Elle ajoute: « Sur les livres d’histoire, il faut tout raconter. Il faut impérativement que nos enfants connaissent la vérité sur ce qu’il s’est passé. Le monde entier également. ».

Des expériences internationales montrent que l’éducation joue un rôle central dans la réconciliation. Au Rwanda, après le génocide de 1994, les autorités ont supprimé les références ethniques dans les programmes scolaires tout en introduisant des cours portant sur l’unité nationale et la prévention des génocides. Ce processus a permis d’atténuer certaines formes de stigmatisation, bien que certains experts aient critiqué l’uniformisation du récit officiel. En Afrique du Sud post-apartheid, l’enseignement de l’histoire a été revu en profondeur pour intégrer les témoignages des victimes et encourager une identité nationale basée sur la diversité et la démocratie. Le cas bosnien illustre les dangers d’une fragmentation éducative : aujourd’hui encore, Serbes, Croates et Bosniaques suivent des systèmes scolaires parallèles avec des manuels radicalement divergents. Cette approche, surnommée « deux écoles sous un même toit », est souvent citée comme un modèle à éviter. Un rapport récent de l’International Center for Transitional Justice (ICTJ) [81] souligne que l’éducation dans un contexte post-conflit ne doit pas se réduire à une opération technique. Elle doit devenir un espace de dialogue sur les droits humains, la pluralité mémorielle et la citoyenneté. Reconstruire la Syrie implique aussi une reconstruction des consciences. Il est essentiel d’apprendre aux enfants non seulement ce qui s’est passé, mais pourquoi cela ne doit jamais se reproduire. De nombreux acteurs syriens plaident ainsi pour l’introduction de programmes inspirés de l’expérience argentine: dans ce cadre, des survivants interviennent dans les écoles pour partager leurs témoignages. Ces récits vivants permettent de transformer les faits en une mémoire incarnée et accessible.

Pour Noura Ghazi, cette transmission passe également par la reconnaissance du rôle de la jeunesse: « Oui, c’est une génération fatiguée, mais aussi courageuse. Beaucoup ont grandi au milieu de la peur, des bombes, de la propagande. Ils n’ont connu ni stabilité, ni liberté. Et pourtant, certains d’entre eux cherchent encore à comprendre, à agir, à apprendre. » Elle ajoute avec conviction : « Ce sont eux, l’avenir. Pas les anciens politiciens, pas ceux qui ont déjà échoué. Les jeunes sont capables d’inventer une autre manière de penser la justice, moins bureaucratique, plus humaine. » Elle souligne aussi l’importance pour les victimes de comprendre ce qu’est la justice transitionnelle et leurs droits, et pour les jeunes de connaître les expériences d’autres pays afin de bâtir une citoyenneté fondée sur la mémoire et l’empathie.

En fin de compte, l’avenir éducatif syrien dépasse largement le cadre des établissements scolaires. Il repose avant tout sur la capacité de la société syrienne à affronter son passé pour en faire un levier de citoyenneté et de cohésion sociale. Sans un effort collectif visant à faire de l’éducation un outil de réconciliation, les divisions actuelles risquent de perdurer chez les générations futures.

Annexes

[35]: Dans les campagnes de Lattaquié et de Sweida, les violences récentes montrent que d’anciens réseaux de sécurité et milices du régime continuent de contrôler le terrain. Autour de Lattaquié, 

Reuters a documenté plus d’un millier de civils tués lors de massacres coordonnés en 2025: -[https://www.reuters.com/investigations/syrian-forces-massacred-1500-alawites-chain-command-led-damascus-2025-06-30/

et HRW a recensé des enlèvements et assassinats ciblant des Alaouites:

-[https://www.hrw.org/report/2025/09/23/are-you-alawi/…](https://www.hrw.org/report/2025/09/23/are-you-alawi/…)).

 À Sweida, Amnesty a révélé l’exécution d’au moins 46 civils druzes en juillet 2025: –https://www.amnesty.org/en/latest/news/2025/09/syria-new-investigation…

https://www.amnesty.org/en/latest/news/2025/09/syria-new-investigation

tandis que Le Monde décrivait une ville livrée aux « fouloul », les reliquats du régime –https://www.lemonde.fr/en/international/article/2025/07/26/syria-after-druze-killings…

[36]: Les moukhabarat désignent les services de renseignement syriens, connus pour leur rôle central dans la surveillance, la répression et le contrôle de la population sous le régime Assad.

[37]: https://www.reuters.com/investigations/syria-is-secretly-reshaping-its-economy-presidents-brother-is-charge-2025-07-24/

[38]: Wafa Mustafa est une journaliste et militante syrienne engagée contre les disparitions forcées. Son père, Ali Mustafa, a été enlevé par les services de sécurité syriens en 2013, ce qui l’a poussée à quitter la Syrie et à faire de la lutte pour la vérité et la justice son combat central. Installée en Allemagne, elle milite au sein de la coalition Free Syria’s Disappeared, témoigne devant l’ONU et participe aux initiatives de justice internationale visant à documenter les crimes du régime Assad. Elle est devenue l’une des voix les plus importantes et les plus visibles des familles de disparus.

https://www.theguardian.com/global-development/2025/oct/02/hope-duty-not-emotion-fight-syria-disappeared-assad-regime-must-go-on?

[39]: Le Mécanisme International, Impartial et Indépendant (MIII) est un organe de l’ONU chargé de collecter, analyser et préserver les preuves des crimes les plus graves commis en Syrie depuis 2011, afin de soutenir de futures poursuites pénales devant des tribunaux nationaux ou internationaux.

[40]: Noura Ghazi est une avocate et défenseure des droits humains syrienne, spécialisée dans les dossiers de détention arbitraire et de disparitions forcées. Elle est la fondatrice de NoPhotoZone, une organisation créée en mémoire de son mari, le développeur open-source Bassel Khartabil, exécuté par le régime syrien. NoPhotoZone œuvre pour documenter les violations, soutenir les familles de détenus et disparus, et promouvoir la justice et la vérité en Syrie.

[41]: Un plan forensique est un schéma précis et documenté qui présente la reconstruction d’un événement (crime, attaque, scène de violence) à partir d’éléments matériels, visuels ou numériques, afin d’en éclairer le déroulement et d’en soutenir l’analyse judiciaire.

[42]: https://www.reuters.com/world/middle-east/syrian-mass-graves-expose-machinery-death-under-assad-top-prosecutor-says-2024-12-17/

[43]: https://www.theguardian.com/world/2022/apr/27/massacre-in-tadamon-how-two-academics-hunted-down-a-syrian-war-criminal?

[44]: Le massacre de Srebrenica désigne l’exécution de plus de 8 000 hommes et garçons bosniaques en juillet 1995 par les forces serbes de Bosnie, après la prise de l’enclave de Srebrenica pourtant déclarée « zone de sécurité » par l’ONU. Il s’agit du pire crime commis en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et il a été reconnu comme génocide par les tribunaux internationaux.

[45]: Yarmouk, à Damas, est un vaste quartier d’origine palestinienne qui est devenu l’un des symboles les plus tragiques de la guerre en Syrie. Assiégé de 2013 à 2015, il a subi famine, bombardements et combats intenses, conduisant à sa quasi-destruction et à l’exode de la majorité de ses habitants. 

https://www.theguardian.com/film/2023/oct/26/little-palestine-diary-of-a-siege-review-refugee-camp-yarmouk-syria

[46]: Mazen al-Hamada était un activiste syrien, arrêté en Syrie pour avoir manifesté, après un an et demi de détention, il parvient à fuir son pays en 2014. Rescapé de la torture, devenu une voix majeure pour dénoncer les crimes des services de renseignement du régime Assad. Retourné en Syrie en 2020 et disparu aussitôt, il a été confirmé à la chute du régime que son corps avait été retrouvé dans la morgue de l’hôpital militaire de Damas, preuve tragique qu’il avait de nouveau été arrêté puis mort en détention.

https://searchworks.stanford.edu/view/14431463

[47]: Dans la Syrie d’après-guerre, alors que les familles cherchent encore leurs disparus, les Tentes de la Vérité sont devenues des lieux où la douleur se transforme en action collective. Sous ces tentes dressées à Ghouta, Yarmouk ou Deir al-Asafir, des mères, des frères, des enfants suspendent les portraits des absents, racontent ce qu’il leur est arrivé et exigent enfin de savoir où sont leurs proches. Ces espaces, simples mais chargés d’émotion, brisent des années de silence imposé : on y parle de détention, de torture, de fosses communes, mais aussi de dignité, d’avenir et de justice. Pour beaucoup, ces tentes sont le premier endroit où ils peuvent dire publiquement leur vérité — et où les Syriens, au-delà des communautés et des clivages, commencent à reconstruire une mémoire commune.

https://www.ungeneva.org/fr/news-media/news/2025/05/106064/en-syrie-la-lente-quete-de-verite-pour-les-familles-des-disparus

[48]: Human Rights Watch (HRW) est une organisation internationale non gouvernementale qui enquête sur les violations des droits humains dans le monde, publie des rapports détaillés et plaide auprès des gouvernements pour faire cesser les abus et obtenir justice pour les victimes.

[49]: La Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP) est la commission d’enquête créée en Argentine en 1983 pour documenter les disparitions forcées commises sous la dictature militaire et établir un rapport officiel, Nunca Más, qui a servi de base aux poursuites judiciaires contre les responsables.

[50]: Human Rights Watch – Saydnaya (2015)-Syria: Secret Detainees at Risk

https://www.hrw.org/news/2015/12/14/syria-secret-detainees-risk

[51]: Amnesty International – Disparitions forcées (2015) Between Prison and the Grave: Enforced Disappearances in Syria

[52]: Le Syrian Justice and Accountability Centre (SJAC) est une organisation indépendante qui collecte, vérifie et analyse des preuves des violations commises en Syrie, afin de soutenir les enquêtes, les poursuites judiciaires et les mécanismes de justice transitionnelle.

[53]: Syrian Justice and Accountability Centre – Tadmor (2020) – Inside Tadmor: Stories of Survivors

https://syriaaccountability.org/inside-tadmor-stories-of-survivors

[54]: Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) est l’organisme des Nations Unies chargé de promouvoir et de protéger les droits humains dans le monde, en surveillant les violations, en soutenant les victimes et en aidant les États à respecter leurs obligations internationales.

[55]: HCDH, Report of the High Commissioner for Human Rights on the Human Rights Situation in the Syrian Arab Republic, 2025

[56]: Saydnaya est l’une des innombrables prisons militaires syriennes considérée comme l’un des lieux les plus brutaux du régime Assad. Selon un rapport d’Amnesty International, elle fonctionnait comme un véritable « abattoir humain », où la torture, les pendaisons, les exécutions et les disparitions forcées étaient pratiquées de manière systématique, organisée et massive.

https://www.amnesty.org/es/wp-content/uploads/sites/8/2021/05/MDE2454752017FRENCH.pdf

[57]: Une Commission Vérité est un organisme officiel, généralement temporaire, chargé d’enquêter sur les violations graves des droits humains commises dans le passé, de recueillir les témoignages des victimes et de produire un récit public permettant de reconnaître les torts, établir les responsabilités et favoriser la réconciliation.

[58]: Familles pour la Liberté / Families for Freedom est un mouvement civique syrien, fondé et porté principalement par des femmes de disparus et de détenus, qui milite pour la vérité, la justice et la libération de toutes les personnes arbitrairement détenues. Depuis la chute du régime, le collectif joue un rôle central dans l’identification des disparus, la défense des droits des familles et la participation aux mécanismes de justice transitionnelle, notamment dans les commissions vérité et les processus de réforme des institutions.

[59]: Jaramana est une banlieue densément peuplée au sud-est de Damas, connue pour sa diversité communautaire, notamment druze et chrétienne, et pour avoir accueilli de nombreux déplacés internes pendant la guerre en Syrie.

[60]: Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM): organisation syrienne indépendante qui documente les violations des droits humains, défend la liberté de la presse et soutient les victimes de détention, de torture et de disparitions forcées, tout en contribuant aux mécanismes internationaux de justice et d’imputabilité.

[61]: Syrian Network for Human Rights (SNHR): organisation de documentation qui recense et analyse les violations graves commises en Syrie depuis 201, exécutions, massacres, attaques chimiques, détentions, disparitions, et produit des rapports de référence utilisés par l’ONU, les tribunaux internationaux et les ONG pour établir les responsabilités et soutenir la justice.

[62]: Commission for International Justice and Accountability (CIJA) est une organisation indépendante qui collecte, analyse et préserve des preuves des crimes internationaux commis en Syrie, notamment des documents officiels du régime, afin de soutenir des enquêtes et des poursuites devant des tribunaux nationaux ou internationaux.

[63]: Caesar Families est un collectif de familles syriennes dont les proches apparaissent sur les photos de torture et de morts en détention divulguées par le lanceur d’alerte « Caesar ». Le groupe milite pour la vérité, l’identification des victimes, la justice et la reconnaissance officielle des crimes commis dans les prisons du régime.

[64]: La compétence universelle est un principe juridique qui permet à un État de poursuivre les auteurs de crimes les plus graves, génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, même si ces crimes ont été commis à l’étranger, par des étrangers et contre des étrangers.

[65]: SyriaUntold est une plateforme indépendante de journalisme et de narration qui documente les histoires sociales, politiques et culturelles de la révolution syrienne, en donnant la parole aux activistes, artistes, communautés locales et initiatives citoyennes.

[66]: Creative Memory of the Syrian Revolution** est un projet d’archivage qui collecte, préserve et met en ligne les expressions artistiques et culturelles produites depuis 2011, dessins, vidéos, slogans, graffitis, chants, récits, pour garder vivante la mémoire créative de la révolution syrienne.

[67]: Ulrike Capdepón est une chercheuse spécialisée dans la justice transitionnelle et les politiques de mémoire, dont les travaux portent notamment sur l’Espagne et l’Amérique latine. Elle étudie la manière dont les sociétés confrontées à des passés autoritaires utilisent la mémoire, la justice et la responsabilité pour reconstruire le tissu social et démocratique.

[68]: Transitional Justice and Memory in Spain: The Politics of Remembering. 2017

[69]: Transitional Justice, Memory, and Human Rights in Spain. Journal of Human Rights Practice. 2016.

[70]: Syrian Archive est une organisation spécialisée dans la collecte, la vérification et la préservation de contenus numériques liés aux violations des droits humains en Syrie, photos, vidéos, enregistrements, afin de documenter les crimes, soutenir les enquêtes judiciaires et protéger les preuves menacées de disparition.

[71]: Caesar Files Group est un collectif syrien dédié à l’identification, la vérification et la publication des milliers de photos de victimes mortes sous la torture dans les prisons du régime, images divulguées par le lanceur d’alerte « Caesar ». Le groupe soutient les familles dans leur recherche de vérité et contribue aux enquêtes internationales sur les crimes en détention.

[72]: Promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition – Octobre 2016.

https://docs.un.org/fr/A/71/567

[73]: Le Justice Center for Legal Aid (JCLA), basé à Amman, est une organisation jordanienne indépendante qui fournit une assistance juridique gratuite aux personnes vulnérables, réfugiés, femmes, enfants, travailleurs pauvres, et défend leur accès à la justice en offrant conseils, représentation légale et sensibilisation aux droits.

[74]: Hadeel Abdel Aziz, interventions sur l’adaptation des réformes judiciaires au contexte local, Justice Center for Legal Aid (JCLA), Amman.

[75]: Le Carnegie Middle East Center est un centre de recherche basé à Beyrouth, rattaché à la Carnegie Endowment for International Peace, qui produit des analyses indépendantes sur les dynamiques politiques, économiques et sociales du Moyen-Orient, en particulier sur les conflits, les transitions et les questions de gouvernance.

[76]: Maha Yahya, Let the Dead Be Dead: Communal Imaginaries and National Narratives in the Post–Civil War Reconstruction of Beirut , in Urban Imaginaries: Locating the Modern City, éd. A. Çınar & T. Bender, New York, Palgrave Macmillan, 2007.

https://epdf.pub/urban-imaginaries-locating-the-modern-city.html

[77]: Médecins Sans Frontières (MSF) est une organisation humanitaire internationale qui fournit des soins médicaux d’urgence aux populations victimes de conflits, d’épidémies, de catastrophes naturelles ou privées d’accès aux services de santé, en toute indépendance et impartialité.

[78]: Le Syrian Center for Policy Research (SCPR) est un centre d’études indépendant qui analyse les impacts économiques, sociaux et politiques du conflit syrien, produit des recherches fondées sur des données et propose des recommandations de politiques publiques pour soutenir la reconstruction, la cohésion sociale et le développement durable en Syrie.

[79]: Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO): agence de l’ONU qui promeut l’éducation, la culture, la science et la liberté d’expression pour renforcer la paix, protéger le patrimoine et soutenir la coopération internationale.

[80]: UNESCO, Éducation sur l’Holocauste et prévention du génocide – Guide pour les décideurs)

2017

[81]: L’International Center for Transitional Justice (ICTJ): organisation internationale qui accompagne les sociétés sortant de conflits ou de régimes autoritaires dans la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle, vérité, justice, réparations et réformes institutionnelles, afin de lutter contre l’impunité et reconstruire la confiance civile.