Les leçons des conflits contemporains pour la justice syrienne : Gaza, Ukraine, Liban et Soudan
La Syrie vit aujourd’hui dans l’étau d’une contradiction douloureuse. Alors que le pays tente de se relever, la promesse de restaurer l’État de droit demeure un horizon lointain, un chantier immense qui déborde les ruelles de Damas, les quartiers bombardés d’Alep ou les collines de Sweida. Cette quête de justice ne se joue pas en vase clos. Elle s’inscrit dans une toile mondiale où résonnent les échos d’autres tragédies : Gaza, l’Ukraine, le Liban et le Soudan. Partout, les mêmes questions déchirantes reviennent : comment punir les coupables ? Comment honorer la mémoire des victimes ? Comment tisser les fils fragiles entre justice transitionnelle et justice pénale internationale ?
À Gaza, les caméras ne cessent jamais de tourner. Les images du conflit inondent nos écrans, offrant aux crimes commis contre les civils une visibilité sans précédent. Cette exposition médiatique constante joue un rôle crucial : elle force le monde à regarder, à témoigner, à s’indigner. La pression internationale et la visibilité des crimes peuvent accélérer les enquêtes, mais elles exigent des protections robustes pour les témoins et des garde-fous institutionnels pour éviter les abus. Depuis octobre 2023, le conflit s’est intensifié, transformant Gaza en laboratoire tragique de la documentation en temps réel. Malgré les portes fermées, les dangers omniprésents, les organisations de défense des droits humains poursuivent leur travail acharné : répertorier les bombardements de zones civiles, documenter les destructions d’hôpitaux et d’écoles, recenser les déplacements massifs de populations. Sous la direction du procureur Karim Khan, la CPI a multiplié ses investigations, prouvant que même au cœur du chaos, la justice internationale peut frapper à la porte. Pourtant, cette visibilité porte en elle ses propres pièges. Les rapports des organisations humanitaires le confirment : trop d’images peuvent noyer le message, créer une saturation médiatique qui anesthésie plutôt qu’elle ne mobilise. La « fatigue compassionnelle » guette l’opinion publique mondiale, noyée sous le flot incessant d’horreurs. Pire encore, la polarisation extrême autour du conflit israélo-palestinien a transformé le terrain en champ de bataille idéologique. Accusations de partialité, criminalisation des défenseurs des droits humains, journalistes pris pour cible : la crédibilité même des mécanismes de documentation vacille. Pour la Syrie, la leçon est claire et amère : la visibilité ne suffit pas. Elle doit s’appuyer sur des structures de protection inébranlables, une documentation méthodique et rigoureuse, respectueuse des standards internationaux. Sans cela, les crimes risquent de se perdre dans le bruit et la fureur médiatiques.
L’Ukraine raconte une histoire différente, celle d’un pays qui documente ses plaies en temps réel, qui construit les archives de sa propre tragédie alors même que les missiles continuent de pleuvoir. Depuis l’invasion russe de février 2022, le pays a érigé un modèle remarquable de justice en temps de guerre. Le Bureau du procureur général ukrainien a enregistré plus de 130 000 cas présumés de crimes de guerre en trois ans. Un chiffre vertigineux qui témoigne d’une détermination féroce. Des équipes mobiles d’enquêteurs sillonnent le pays, formées par des experts internationaux. Dès qu’une zone est sécurisée, elles y débarquent : photographier les scènes de crimes, recueillir les témoignages encore brûlants, préserver les preuves matérielles et numériques avant qu’elles ne disparaissent. À La Haye, le Centre de poursuite des crimes d’agression [82], créé en juillet 2023 avec le soutien de l’Union européenne, orchestre cette symphonie judiciaire internationale. En mars 2023, la CPI a franchi un pas historique : un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine lui-même et Maria Lvova-Belova pour le déplacement illégal d’enfants ukrainiens.[83] Un acte d’accusation qui résonne comme un coup de tonnerre dans l’histoire de la justice internationale. La technologie amplifie cette mobilisation sans précédent. Des applications mobiles permettent aux civils de signaler les crimes en direct. La blockchain [84] garantit l’authenticité des preuves numériques. Des organisations comme Bellingcat [85] décortiquent les images satellites, analysent les vidéos disponibles en source ouverte, reconstituent les chaînes de commandement. Comme l’a souvent souligné Fatou Bensouda, ancienne procureure de la CPI, la documentation proactive des crimes et la coopération internationale sont essentielles pour préparer le terrain à des poursuites, y compris lorsque les enquêtes doivent se dérouler en pleine période de conflit, avec toutes les contraintes de sécurité que cela implique [86]. L’Ukraine a également tissé un réseau judiciaire transnational: plusieurs pays européens , dont la Pologne, la Lituanie et l’Allemagne, ont ouvert leurs propres enquêtes, créant une toile de juridictions coordonnées qui rend l’impunité plus difficile. Face à ces exemples, la Syrie mesure l’ampleur de ce qui lui manque. Entre 2011 et 2025, l’absence de documentation solide et systématique a créé des vides béants dans la mémoire collective. Des crimes effacés, des témoignages perdus, des preuves volatilisées. Ces lacunes retardent aujourd’hui les procès, fragilisent les poursuites, laissent les victimes dans un limbe judiciaire insupportable. Le Liban traverse une période exceptionnellement lourde, marquée par l’intersection des conflits autour d’Israël et des dynamiques internes. L’image d’un État immobilisé se dégage, pris dans des équilibres politiques fragiles qui limitent sa capacité à répondre aux besoins de la population. Cette immobilité nourrit une opacité inquiétante et ouvre le terrain à des ingérences étrangères, ajoutant des couches de complexité à une réalité déjà précaire. Sur le plan régional, les tensions avec Israël ne se résument pas à une confrontation militaire traditionnelle: elles se manifestent par des pressions, des frappes quotidiennes et des actions illégales qui visent à façonner l’espace sécuritaire sans qu’un État unifié puisse articuler une réponse claire. Entre le 27 novembre 2024 et le 30 octobre 2025, Israel a mené 5109 violations de l’accord de cessez-le-feu conclu avec le Liban, faisant 302 morts et 588 blessés. Récemment la FINUL [87], Force Intérimaire des Nations Unies au Liban, a accusé l’armée israélienne d’avoir tiré sur certains de ses membres. Israël a construit un mur en béton rendant plus de 4 000 mètres carrés de territoire libanais inaccessibles, une construction qui traverse la Ligne bleue [88] constituant une violation de la résolution 1701 du Conseil de sécurité confirmé par la FINUL sans compter les innombrables attaques sur des structures civiles et médicales entre septembre 2024 et aujourd’hui. Le paysage sécuritaire se fragmente: des milices comme le Hezbollah, Amal, les groupes druzes du PSP (Parti socialiste progressiste) ou les Forces Libanaise, parfois profondément intégrées dans les réseaux locaux de pouvoir, exercent une influence disproportionnée sur les dynamiques politiques et militaires. Cette réalité rend les perspectives de justice transitionnelle et de responsabilité pénale internationale plus incertaines, car acteurs étatiques et non étatiques s’immiscent dans les mécanismes judiciaires et les normes internationales, souvent sans reddition de comptes claire. Les ingérences étrangères aggravent les dilemmes internes. Des acteurs régionaux et internationaux, poursuivant des intérêts variés, sécuritaires, économiques ou idéologiques, interviennent par des canaux diplomatiques et médiatiques. Cette présence externalisée perturbe les trajectoires de réforme et de reconstruction, tout en alimentant des fractures communautaires et des calculs qui privilégient le statu quo. Résultat: un espace politique où les promesses de réforme restent en suspens et où les mécanismes de justice restent confrontés à des réalités liées à la souveraineté, à la sécurité et à la volatilité. À cela s’ajoute la question confessionnelle qui demeure au cœur des faits libanais. Le système politique, profondément ancré dans la répartition confessionnelle des pouvoirs, voit émerger des tensions croissantes entre groupes qui se sentent marginalisés ou exclus des leviers de décision. Cette dynamique engendre des cycles d’instabilité qui entravent la protection des civils, l’accès équitable à la justice et les droits humains fondamentaux. Les milices, qu’elles soient structurées ou opérant en dehors du cadre étatique, aggravent ces tensions en créant des zones d’influence parallèles et en brouillant responsabilité et autorité légale. Documenter et réparer les torts dans un contexte où des acteurs armés jouent à la fois le rôle de sécurité et de acteurs politiques pose des défis opérationnels et éthiques considérables, tout en exigeant le respect des souverainetés nationales et des règles internationales. La crise économique et la question du désarmement du Hezbollah [89], qui remet en cause des équilibres traditionnels et crée une tension majeure entre sécurité, souveraineté et structure du pouvoir, s’imposent comme des tensions internes nouvelles et aiguës. La dépréciation de la monnaie, l’inflation des prix et les pénuries frappent durement les populations, accentuant les inégalités et fragile le tissu social. Cette fragilisation conditionne toutes les dynamiques et peut nourrir les mémoires et les procès à des fins politiques.


Au lendemain du 7 octobre 2023, Israël et le Hezbollah s’affrontent presque quotidiennement, plongeant la frontière sud dans un cycle de bombardements destructeurs. En septembre 2024, l’escalade est brutale : des frappes israéliennes d’une ampleur inédite ravagent Beirut, la Bekka et le Sud du pays provoquant un exode massif. Le 27 Novembre 2024, un cessez-le-feu est conclu, pourtant la FINUL a confirmé plus de 10000 violations venant d’Israel et 127 civils tués. Photo 1: Portrait de Nasrallah à Ghobeiri, Beyrouth, Liban. 20 octobre 2024. Photo 2: 17 raids au phosphore blanc, interdits au niveau international, ont été menés dans le centre et la banlieue sud de Beyrouth. Hadath, Beyrouth, Liban. 3 octobre 2024. © Audrey M-G./SpectoMédia.
Le Soudan, lui, a replongé dans l’abîme. Un cycle infernal de violences, de crimes de masse, de viols systématiques et de déplacements forcés se déroule sous les yeux d’une communauté internationale qui semble paralysée, réduite au silence ou à l’impuissance. Depuis avril 2023, lorsque les Forces armées soudanaises (SAF) [90] et les Forces de soutien rapide (RSF) [91] ont croisé le fer, le pays est devenu le théâtre d’une catastrophe humanitaire aux proportions dévastatrices. Plus de 10 millions de personnes sont arrachées à leurs foyers, faisant du Soudan la plus grande crise de déplacement au monde. Des dizaines de milliers de civils massacrés dans des violences intercommunautaires d’une brutalité indicible. Cette réalité explosive n’est pas qu’un drame humanitaire : elle démontre avec une gravité criante pourquoi la mémoire judiciaire immédiate et le continuum entre justice transitionnelle et justice pénale internationale ne sont pas des idéaux lointains, mais des urgences vitales. Au Darfour, région maudite qui connaît déjà le goût amer du génocide, l’histoire se répète comme une malédiction. Les violations documentées rappellent celles qui avaient poussé la CPI à émettre des mandats d’arrêt contre l’ancien président Omar el-Béchir en 2009 et 2010. Les RSF, héritières directes des milices janjawid [92] qui avaient orchestré le génocide des années 2000, perpétuent aujourd’hui des massacres ethniques ciblés. À El Geneina et dans d’autres villes du Darfour occidental, les communautés Masalit sont systématiquement traquées, exécutées, effacées. La Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS) [93] a dû suspendre ses opérations, laissant un vide terrifiant en matière de documentation et de protection des civils. Mais dans ce vacuum international, des héros anonymes persistent. Des réseaux locaux de défenseurs des droits humains, des comités de résistance, des organisations de la société civile soudanaise continuent, au péril de leur vie, de documenter les crimes. Le Sudan Human Rights Hub, le Darfur Network for Human Rights [94]: ces noms résonnent comme des actes de résistance. Travaillant souvent dans la clandestinité pour échapper aux représailles, ces militants ont compilé des milliers de témoignages, des preuves photographiques qui défient l’oubli.
La violence sexuelle est devenue une arme de guerre systématique. Viols collectifs, enlèvements, esclavage sexuel : les témoignages sont insoutenables. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a qualifié ces actes de possibles crimes contre l’humanité, appelant à des enquêtes internationales indépendantes. Mais l’accès humanitaire reste verrouillé, et les mécanismes internationaux agonisent dans un contexte où les parties au conflit ignorent délibérément le droit international humanitaire. Le cas soudanais révèle également les dangers mortels de l’inaction préventive. Malgré les avertissements répétés des experts, malgré les signaux d’alarme qui clignotaient en rouge, la communauté internationale n’a pas su mobiliser les ressources nécessaires pour prévenir l’embrasement. Et maintenant, elle regarde, impuissante, les flammes consumer le pays. L’Union africaine, à travers son Conseil de paix et de sécurité, a tenté des médiations entre les belligérants. En vain. Face à l’intransigeance des commandants militaires, ses efforts se sont brisés comme des vagues contre un rocher. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pourrait jouer un rôle complémentaire à la CPI, mais elle reste entravée par des contraintes de ressources et de juridiction. Le procureur de la CPI, Karim Khan, avait effectué une visite au Soudan en janvier 2024, réaffirmant que la Cour maintenait sa compétence sur le Darfour. Mais sans coopération des autorités de facto, face à des obstacles logistiques considérables, la capacité de la Cour à enquêter efficacement reste cruellement limitée. Le Soudan enseigne une leçon brutale : les cadres régionaux et les partenariats internationaux sont indispensables pour soutenir les enquêtes, préserver les preuves et maintenir la mémoire des victimes au-delà des fluctuations politiques. Il démontre aussi que l’impunité engendre l’impunité, que sans justice rapide et visible, les cycles de violence se perpétuent et s’intensifient, se nourrissant de leur propre horreur.
L’exemple de ces quatre crises contemporaines convergent pour offrir à la Syrie des enseignements cruciaux, gravés dans le sang et les larmes d’autres peuples. De Gaza, la Syrie doit retenir l’importance de la visibilité internationale tout en se méfiant de ses pièges insidieux. La documentation doit être rigoureuse, blindée contre l’instrumentalisation politique, protégée de la saturation médiatique qui anesthésie les consciences. De l’Ukraine, elle peut s’inspirer de cette capacité remarquable à documenter en temps réel, à tisser des réseaux de coopération internationale, à utiliser la technologie pour piéger la vérité avant qu’elle ne s’évapore. L’exemple ukrainien prouve qu’on peut préparer la justice même sous les bombes. Du Liban, la Syrie peut tirer ces enseignements: dans un pays fragmenté et à un espace judiciaire limité, il faut des mécanismes de justice transitionnelle et de justice pénale internationale modulaires et locaux, afin de renforcer la crédibilité des enquêtes et soutenir les efforts locaux. Sur le chemin éthique, l’histoire rappelle qu’il faut éviter l’instrumentalisation de la justice, comme on évite d’user d’un récit pour servir des causes qui bafouent la dignité humaine. Il faut aussi bâtir une gouvernance transparente et inclusive, afin que la justice ne se transforme pas en instrument politique ni en sésame pour manipuler identités et mémoires. Du Soudan, elle doit tirer cette leçon tragique que l’impunité est un poison qui se propage : sans justice rapide et visible, les cycles de violence ne s’arrêtent jamais, ils se métastasent. Car la Syrie connaît trop bien cette impuissance. Dès 2011, elle s’était érigée en exemple poignant de l’échec de la communauté internationale face aux crimes de masse, bien que largement documentés. Au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, 16 résolutions liées au conflit syrien ont été bloquées entre 2011 et 2023 par le double veto russe et chinois. Parmi ces textes avortés, plusieurs visaient à confier à la CPI la mission d’enquêter sur les crimes perpétrés par toutes les factions. Ce blocage systématique n’est pas qu’un symbole diplomatique : il a des conséquences concrètes, mortelles. Pour des observateurs comme Iyad Al-Shaarani: « chaque veto russe ou chinois équivalait à une autorisation implicite pour le régime syrien de continuer ses exactions. » La loi internationale existait, certes, mais elle demeurait une promesse creuse, un mirage juridique inapplicable.
Ainsi, tous ces exemples convergent vers une évidence qui ne peut plus être ignorée : la justice transitionnelle ne peut pas attendre. Elle ne peut pas patienter sagement que cessent les hostilités ou que se stabilise parfaitement le pays. Elle doit s’amorcer immédiatement, avec les moyens du bord, en s’appuyant sur les réseaux de documentation existants, en blindant la protection des témoins, en établissant des partenariats stratégiques avec les juridictions nationales et internationales prêtes à l’action. La fenêtre d’opportunités pour préserver les preuves et la mémoire collective n’est pas infinie. Elle se referme un peu plus chaque jour. Chaque jour qui passe voit disparaître des témoins, s’effacer des preuves matérielles, s’estomper la volonté politique internationale. L’horloge tourne, impitoyable, et la Syrie doit comprendre que la justice ne viendra pas d’elle-même. Elle doit être construite, documentée, arrachée à l’oubli, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.
Positionnement international :
Depuis la chute du régime syrien, le pays ne cesse d’occuper le devant de la scène des relations internationales. On pourrait presque suivre son souffle, comme si chaque mouvement sur la scène mondiale dépendait désormais de ce qu’il advient de la justice, de la vérité et de la réconciliation. Autour de cette quête, les acteurs se déploient en deux grandes directions qui se taillent une route parfois difficile à lire: d’un côté, des élans pluriels au nom de la justice transitionnelle, de l’autre, des calculs géopolitiques qui entravent le progrès.
Dès les premiers jours où les ruines du régime cessèrent de parler pour laisser place à des promesses fragiles, la communauté internationale a réagi avec une urgence qui ressemblait à un appel au secours collectif. L’Union européenne a pris la parole sans détour, faisant entendre l’écho d’un engagement clair en faveur de mécanismes qui documentent les crimes du conflit et qui jettent peut-être les bases d’une paix possible. En mars 2025, Kaja Kallas, alors Haute Représentante de l’Union Européenne (UE) pour les affaires étrangères, a rappelé une vérité tenace : la paix en Syrie ne peut exister sans une confrontation honnête avec les atrocités du passé. Son discours portait une promesse concrète: soutenir les victimes, favoriser des initiatives de vérité et de justice. Pour donner corps à cette promesse, l’UE a annoncé 300 millions d’euros sur trois ans dédiés à la justice transitionnelle en Syrie, avec des projets précis: une antenne du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Damas et un appui aux organisations syriennes de défense des droits humains. Parallèlement, les Nations Unies ont intensifié leur présence et leurs instruments. Dès janvier 2025, la Commission d’enquête internationale indépendante [95] sur la Syrie s’est déplacée sur le terrain pour recueillir des témoignages et documenter ce qui se joue dans les prisons et les centres de détention. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, insistait déjà à plusieurs reprises sur l’urgence de traiter les crimes graves. Il a ainsi rappelé que «la justice transitionnelle est cruciale à mesure que la Syrie avance » et qu’aucune réconciliation durable n’est possible sans vérité ni responsabilité [96]. En février, il s’est rendu en Syrie et a plaidé pour la création d’un mécanisme judiciaire international hybride, spécialement pour la Syrie. Mais le cadre d’action demeurait fragile. Le Conseil de sécurité, paralysé par les vétos répétés, freinait toute résolution contraignante. Entre 2011 et 2022, la Russie a opposé dix-sept vétos à un projet de résolution visant à renforcer un mécanisme international de justice pour la Syrie, estimant qu’il s’agissait d’une ingérence dans les affaires d’un État souverain. [97]
Dans les coulisses de ces grands discours se dessine une réalité plus intime et plus complexe: la responsabilité. Certains pays osent des chemins audacieux. La France inscrit une étape symbolique dans l’histoire judiciaire en visant Bachar al-Assad, désormais exilé à Moscou, par une série de mandats d’arrêt internationaux : après l’annulation, le 25 juillet 2025, d’un premier mandat émis en novembre 2023, les juges d’instruction ont signé un nouveau mandat le 29 juillet 2025, puis un troisième le 23 octobre 2025 pour les attaques chimiques de 2013 [98] qui ont ravagé Adra, Douma et la Ghouta, faisant des centaines de blessés et plus d’un millier de morts. L’ancien dictateur était déjà poursuivi pour deux autres crimes : le bombardement d’habitations civiles à Deraa en 2017, visé par un mandat du 20 janvier 2025, et l’attaque du centre de presse de Homs en 2012, à l’origine d’un mandat du 19 août 2025, où ont été tués Marie Colvin et Rémi Ochlik. [99]. Iyad Al-Shaarani décrit cette démarche comme sans précédent : « c’est la première fois qu’un chef d’État récemment déchu est explicitement ciblé par un pays européen. C’est un message fort, qui dit que l’impunité n’est plus une norme tolérable ». D’autres États européens avancent aussi, mais à des degrés différents. En Allemagne, le parquet fédéral a notamment obtenu, le 27 mai 2025, l’exécution d’un mandat d’arrêt contre Fahad A., membre de la Branche 251 (aussi appelée Branche al-Khatib) du régime syrien, poursuivi pour torture et crimes contre l’humanité. Aux Pays-Bas, plusieurs procédures visent des suspects impliqués dans des crimes commis en Syrie, en particulier des membres de groupes armés ou de milices pro-régime présents sur le territoire néerlandais. Pourtant l’unité des acteurs internationaux reste fragile et difficile à forger.
Les États-Unis, fidèles à leur prudence habituelle, soutiennent certaines ONG syriennes et financent des mécanismes de documentation, tout en pesant leurs mots pour ne pas risquer d’envenimer une région déjà fracturée. La Turquie, présente militairement dans le nord, se montre encore réticente: elle accepte la chute d’un régime que ses alliés rebelles avaient soutenu, mais elle s’opposerait à toute initiative qui pourrait examiner ses propres actions ou celles de ses partenaires. Les tensions montent quand, en mai 2025, des organisations de défense des droits humains réclament que les crimes de tous les acteurs, y compris ceux soutenus par la Turquie, soient inclus dans le processus. La Russie, qui a accordé l’asile à Assad, avait défendu farouchement la légitimité du régime tout en bloquant les résolutions contraignantes au Conseil de sécurité. Son choix de protéger l’ancien allié est devenu un embarras pour le Kremlin, qui subit simultanément une pression internationale croissante et des manifestations de Syriens de la diaspora devant les ambassades russes. Une question décisive demeure: comment traiter les membres de l’ancien appareil sécuritaire et administratif? Comment conjuguer procès équitables, véritables enquêtes et réintégration possible? Depuis la chute du régime, les nouvelles autorités syriennes annoncent l’arrestation d’anciens membres des services de sécurité et d’officiers de l’ère Assad. Parmi les profils les plus cités figurent l’ex-officier de l’armée de l’air Saleh al-Abdullah, Nariman Mustafa Hijazi, dite « la bouchère de Daraya », ou encore Daas Hassan Ali, ancien responsable de la Sûreté de l’État à Deir ez-Zor. L’arrestation très médiatisée de Wassim al-Assad [100], ainsi que l’interpellation d’ex-agents à Hama et Homs, illustrent cette volonté de cibler les acteurs de la répression, y compris des miliciens liés au massacre de Houla (2012) [101], attribué par l’ONU à des forces pro-régime et aux shabiha [102]. En parallèle, le grand procès du 18 Novembre 2025 sur les massacres de la côte alaouite réunit 14 accusés parmi 563 suspects, sans qu’un sous-ensemble précis d’ex-agents du régime puisse être isolé. Si aucune donnée officielle ne ventile ces profils, Les rapports du Syrian Network for Human Rights (SNHR) font état de 658 arrestations arbitraires pour le premier semestre 2025 et de 197 cas supplémentaires en octobre, signe d’une pression judiciaire croissante sur les anciens piliers de l’appareil répressif [103]. Mais les conditions de détention et les garanties judiciaires restent floues, nourrissant les inquiétudes des défenseurs des droits humains. Beaucoup appellent à éviter les erreurs commises en Irak après 2003 : la dissolution brutale de l’appareil d’État et les purges massives qui ont alimenté l’insurrection. L’idée d’un processus de “lustration” mesuré et transparent résonne comme une voie possible : écarter les responsables de crimes graves tout en préservant les compétences requises au fonctionnement de l’État [104].



Mohamed al-Sayed (photo 1) est le seul survivant, avec son jeune frère Ali (photo 3/capture d’écran Al-Jazeera, reportage Survivor describes Syria’s Houla massacre, 1er Juin 2012), 11 ans au moment des faits, du massacre de al-Houla. Toute leur famille a été sauvagement assassinée par le régime le 25 Mai 2012 chez eux (photo 2). Les forces du régime, les Shahiba et des milices progouvernementales russes ont tué 108 civils, dont 49 enfants. L’inaction de la communauté internationale et des troupes des Nations Unies envoyées sur place rappellent tristement le génocide rwandais. Aujourd’hui, au-delà de la reconnaissance, Mohamed et Ali veulent que justice soit faite et reconstruire leur avenir. Al-Taldo, Homs, Syria. 18 Mai 2025. © Audrey M-G./SpectoMédia.
À Genève, les experts de l’ONU rappellent une évidence essentielle : il serait irréaliste de laisser à la seule Syrie la lourde tâche de rendre justice après une décennie de violences généralisées. Nousha Kabawat [105], de l’ICTJ, souligne qu’en dépit de la résilience des Syriens qui documentent les atrocités et préservent la mémoire, leur combat risque de rester lettre morte sans un soutien international déterminé. Un rapport publié en 2025 par l’ICTJ, fondé sur une série de dialogues communautaires en Syrie, met en avant plusieurs besoins urgents : renforcer les capacités des institutions judiciaires et des professionnels de la justice, développer les moyens de recherche et d’identification des disparus, et intégrer un accompagnement psychosocial des victimes au cœur des futurs mécanismes de justice transitionnelle [106]. Cet appui ne se résume pas à des garanties judiciaires robustes: il demande aussi un soutien financier substantiel et une pression diplomatique constante sur les parties impliquées. Cet élan s’inscrit dans un cadre plus vaste. Le 17 mars 2025, lors de la conférence des donateurs à Bruxelles, la communauté internationale a annoncé 5,8 milliards d’euros pour accompagner la Syrie dans sa reconstruction. Au-delà du montant, les bailleurs ont insisté sur la nécessité de soutenir une véritable transition politique, de relancer des institutions effondrées et de rétablir une gouvernance minimale dans un pays dévasté. Selon Reuters, les bailleurs placent désormais au premier plan les questions de justice, de redevabilité et d’accompagnement de la transition, estimant qu’aucune reconstruction durable n’est possible sans institutions judiciaires solides. Les aides internationales restent toutefois liées à des garanties en matière de droits humains et d’inclusivité politique, une conditionnalité qui nourrit des tensions avec les nouvelles autorités syriennes, soucieuses d’affirmer leur souveraineté [107]. Des études comparatives sur le coût des tribunaux pénaux internationaux et hybrides (Yougoslavie, Rwanda, Sierra Leone, Liban, Cambodge…) estiment qu’une juridiction spécialisée pour la Syrie nécessiterait plusieurs centaines de millions de dollars sur une dizaine d’années, en fonction de son mandat, de son siège et du nombre d’affaires traitées. [108]
Le déploiement d’équipes d’expertise internationales s’est accéléré au début de l’année 2025. Dans les fosses communes découvertes autour de Damas, des médecins légistes argentins, forts de leurs décennies à reconstituer les destins des disparus de dictatures régnant sur leurs propres terres, travaillent main dans la main avec leurs homologues syriennes. À leurs côtés, des juges bosniaques, habitués à écouter les murmures des villages et à instruire des affaires de crimes de masse, viennent partager leurs techniques et leurs méthodes d’instruction. Cette coopération Sud-Sud, encouragée par les Nations unies, porte avec elle une promesse de transfert d’expérience, une confiance précieuse que des pays ayant connu des trajectoires similaires peuvent se transmettre mutuellement. Pourtant, la sonnette d’alarme retentit régulièrement parmi les experts. La Syrie ne peut devenir un précédent désastreux où l’inaction ou l’insuffisance collective enverraient un message dangereux aux régimes autoritaires. Le 7 mai 2025, le SNHR affirme dans un rapport que la Syrie ne dispose que d’ « une fenêtre historique extrêmement étroite » pour bâtir une justice transitionnelle crédible, avertissant que ce moment crucial « ne tolère aucun retard ». Ce diagnostic est repris la même année par HRW, l’ONU et plusieurs organisations syriennes, qui décrivent la période post-Assad comme une « opportunité historique » pour instaurer vérité et redevabilité, mais préviennent qu’elle pourrait « se refermer rapidement » si les engagements internationaux ne se traduisent pas en mécanismes effectifs de justice. Le risque, avertissent-ils, est que l’inaction normalise l’impunité pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Noura Ghazi exprime une profonde frustration : « Pour qu’il y ait redevabilité, il faut une autorité prête et qualifiée pour la mener, or ce n’est pas le cas. Rien de ce qui se passe aujourd’hui ne correspond aux standards internationaux de la justice transitionnelle. » Elle dénonce l’absence de mécanismes adéquats : « Il n’y a aucune loi criminalisant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité en Syrie, aucun tribunal spécialisé, aucun juge compétent. Tout le processus est faussé. » Malgré ces obstacles, elle insiste sur l’urgence d’agir : « Même si un jour un mécanisme d’imputabilité voyait le jour, cela prendrait du temps. Mais pendant ce temps, il ne faut pas oublier les besoins immédiats des victimes. » Face à ces risques, les experts plaident pour un système à plusieurs niveaux, tissant ensemble des mécanismes complémentaires adaptés à la réalité syrienne. Beaucoup évoquent l’idée d’un tribunal hybride spécial pour la Syrie, mêlant juges internationaux et syriens, capable de se concentrer sur les crimes les plus graves et les plus hauts responsables, à l’image des tribunaux hybrides qui ont marqué d’autres transitions. En parallèle, des chambres spécialisées pourraient exister au sein du système syrien, traitant des affaires de responsables de niveau intermédiaire, tout en bénéficiant d’un encadrement et d’un soutien internationaux. Les expériences étrangères offrent des perspectives sur les défis immenses qui attendent la Syrie. Au Cambodge, le Tribunal des Khmers Rouges [109] a vu le jour après des années d’efforts et une pression internationale soutenue. En Sierra Leone, c’est une collaboration entre l’ONU et l’État local qui a permis de traduire les responsables en justice. L’Allemagne et la France proposent d’envoyer des magistrats expérimentés, s’inspirant du modèle d’assistance judiciaire vu au Kosovo après 1999. [110]
Les conséquences de ces crimes dépassent largement le cadre juridique. Des destructions massives, des déplacements forcés de millions de personnes, des disparitions et l’usage systématique de la torture ont laissé des cicatrices qui ne se refermeront pas facilement. Plus de 6 millions de réfugiés à l’étranger, 7 millions de déplacés internes, 300000 disparus, et des centaines de milliers de survivants en proie à des traumatismes psychologiques profonds. Beaucoup savent qu’aucune sentence ne saura suffisamment réparer leur douleur. Pourtant, une aspiration persiste: des réparations qui ne se contentent pas de chiffres, mais qui réaffirment la dignité des victimes et reconstruisent la mémoire collective. Iyad Al-Shaarani rappelle avec gravité : “La justice transitionnelle, ce n’est pas seulement juger les coupables. C’est aussi prendre soin des victimes.” Pour beaucoup, le véritable but est la reconnaissance publique de chaque tragédie personnelle et l’intégration de ces récits dans le récit national qui doit émerger de la réconciliation. À travers le monde, des expériences de réparation éclairent ce chemin. En Argentine, après la dictature, les familles des disparus ont retrouvé une part de vérité et de dignité grâce à l’ouverture des archives et à des indemnisations. Au Maroc, l’Instance Équité et Réconciliation [111] a assorti des compensations à des auditions publiques qui ont brisé des silences tenaces. Au Rwanda, les réparations symboliques – commémorations, monuments, restitution de terres – accompagnent les procès pour que les survivants puissent reprendre pied dans une mémoire publique. En Syrie, des initiatives locales se multiplient aussi: Families for Freedom milite pour un fonds national de réparations alimenté par les avoirs confisqués aux proches du régime. En mars 2025, les nouvelles autorités syriennes annoncent le gel des biens de 250 personnalités liées à l’ancien régime, estimés à plusieurs milliards de dollars. Une piste financière qui pourrait soutenir un programme de réparations et permettre de rétablir des vies brisées.
Les regards se tournent aussi vers les témoins et les victimes, qui exigent que la justice ne soit pas qu’un mot mais une pratique vivante. Pablo de Greiff rappelle « Les poursuites pénales, bien qu’indispensables pour établir la responsabilité individuelle, ne suffisent pas à elles seules. Les réparations jouent un rôle unique : elles reconnaissent la souffrance, restaurent la confiance civique et contribuent à reconstituer les liens de solidarité indispensables à la reconstruction du tissu social. » [112] Dans ce cadre, la justice syrienne n’est pas une affaire isolée: elle se joue aussi sur les scènes régionales et internationales. L’Iran, autrefois pilier du soutien au régime, voit son influence s’étioler avec la chute du pouvoir et craint que les révélations de crimes ne soient utilisées pour faire émerger des comptes à rendre. D’un autre côté, des signaux encourageants viennent de la région: les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite annoncent, en mars 2025, des programmes d’aide à la reconstruction conditionnés au respect des droits humains et à l’avancement du processus de justice transitionnelle. En Jordanie, Lina Haddad insiste: la justice syrienne ne peut être entendue sans considérer les réfugiés, les frontières et les dynamiques des groupes armés qui dépassent largement le cadre national [113]. L’Irak, qui partage la longue frontière, observe aussi de près l’évolution, craignant une résurgence des menaces transfrontalières et cherchant à renforcer une coopération sécuritaire et judiciaire.
La question de la souveraineté syrienne demeure au cœur des échanges. En 2025, de nombreux acteurs syriens et internationaux rappellent que la justice transitionnelle doit être dirigée par les Syriens. HRW évoque ainsi une « forte préférence pour des processus Syrian-led », et une déclaration d’ONG syriennes (STJ) appelle à des mécanismes de vérité et d’équité « véritablement dirigés par les Syriens ». L’ICTJ souligne la même exigence : la communauté internationale peut soutenir, mais ne doit pas diriger. Dans cet esprit, en avril 2025, les autorités syriennes rejettent certaines propositions de l’ONU jugées trop intrusives, réaffirmant que la justice doit rester entre les mains des Syriens. [114] Trouver l’équilibre délicat entre souveraineté et accompagnement international sera déterminant pour l’efficacité du processus. En somme, ce chapitre de justice transitionnelle n’est pas qu’un ensemble de mécanismes techniques. C’est une quête collective pour préserver la mémoire des victimes, assurer des réparations dignes et bâtir les bases d’une réconciliation durable. C’est aussi une invitation à l’action: que les engagements se traduisent en actes, que la coopération régionale et internationale s’inscrive dans une dynamique de soutien robuste et mesuré, sans imposer mais en appuyant. Et que, surtout, les Sourires des survivants et les voix des familles puissent, peu à peu, trouver leur place dans le récit officiel qui donnera à la Syrie les moyens de se reconstruire sur des fondations de justice, de dignité et d’espoir.
La légitimité des nouvelles autorités demeure fragilisée dans plusieurs recoins du territoire syrien. Dans les zones kurdes du nord-est, l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) [115] s’est forgée une trajectoire propre et réclame son propre chemin vers la justice transitionnelle. En février 2025, les autorités kurdes annoncent la création d’une commission vérité et réconciliation, une initiative qui nourrit à la fois l’espoir et l’inquiétude: celle d’un processus qui pourrait se fragmenter, au risque de laisser fuir les voix et les vécus les plus vulnérables dans l’ombre d’un système partiel. La communauté internationale se trouve ainsi face à un dilemme délicat : soutenir une démarche unifiée tout en respectant les spécificités et les griefs légitimes de chaque composante de la société syrienne. À côté de ces dynamiques internes, d’autres zones restent sous l’emprise de groupes armés variés. Dans le nord-ouest, certaines factions rebelles contrôlent encore des pans du territoire et rechignent à reconnaître la légitimité du gouvernement central. Comment construire une justice transitionnelle réellement inclusive lorsque le pays reste sculpté par des poches de pouvoir, où certains refusent de déposer les armes ou de participer au processus politique ? Cette question, jusqu’ici sans réponse claire, représente un obstacle majeur à l’émergence d’un véritable cadre national de justice. Une autre dimension soulève des débats brûlants: la portée même du processus. Doit-il viser uniquement les crimes du régime Assad ou inclure aussi ceux commis par les groupes d’opposition, les milices kurdes, les puissances étrangères et les groupes djihadistes ? La crédibilité du projet dépendra largement de sa capacité à poursuivre tous les auteurs de crimes graves, sans privilèges pour aucun camp, sans exception.
Par ailleurs, les violences sexuelles et les crimes fondés sur le genre occupent une place cruciale mais souvent négligée. Des milliers de femmes et de filles ont subi viols, esclavage sexuel et autres violences, alimentant une mémoire collective qui ne peut être guérie sans reconnaissance ni justice. Les violences basées sur le genre restent l’une des réalités les plus silencieuses du conflit syrien. Depuis des années, des organisations comme l’UNFPA, l’UNICEF, l’UNHCR, le SNHR ou STJ décrivent un phénomène massif, quotidien, mais presque invisible, tant la honte, la stigmatisation et la peur des représailles empêchent les survivantes de parler. Dans les camps, les zones bombardées, les routes de l’exil ou les centres de détention, les femmes et les filles subissent des violences sexuelles, des mariages forcés ou des agressions liées au déplacement. Mayada, ancienne détenue rencontrée à Darayya, raconte qu’après neuf mois de détention dans des conditions inhumaines, à sa libération, sa maison avait été spoliée par des membres du Hezbollah libanais et qu’il lui était impossible de porter plainte « par peur des représailles et d’être renvoyée en détention » ainsi que « la honte ne s’abatte sur la famille ». Les agences humanitaires rappellent que seule une fraction infime des survivantes demande de l’aide, faute de sécurité et de services spécialisés. Cette sous-déclaration systémique fait des violences de genre un défi central de la justice syrienne : on ne peut réparer ce qui n’a jamais été nommé, et les survivantes risquent d’être laissées en marge des mécanismes de vérité, de réparation et de justice si des protections adaptées ne sont pas mises en place. [116] La protection des témoins et des survivants est au cœur des enjeux : comment assurer leur sécurité lorsque les structures de l’ancien appareil de sécurité sont démantelées mais que des acteurs armés demeurent actifs et influents ? En avril 2025, plusieurs cas d’intimidation et de menaces contre des témoins potentiels ont été signalés, suscitant de fortes inquiétudes quant à la capacité des nouvelles autorités à les protéger. Dans un article de L’Orient Le Jour publié le 26 Novembre 2025, la journaliste Amélie Zaccour [117] raconte le calvaire enduré par cinq victimes issues de la minorité alaouite. La Syrie post-Assad reste traversée par des épisodes de violences. Les cas d’enlèvements et violences sexuelles visant les minorités ont fortement augmenté dans les semaines qui ont suivi les massacres sur la côte syrienne. Dans plusieurs cas rapportés, les nouvelles autorités ne se sont pas montrées capables de protéger les femmes : des forces de sécurité auraient intimidé des rescapées, mettant en doute leurs témoignages et minimisant les faits, malgré les alertes d’Amnesty International et de l’ONU. Le ministère de l’Intérieur nie l’ampleur des disparitions, ce qui alimente un sentiment d’abandon et d’impunité. Dans ce contexte de déni institutionnel et de stigmatisation, les survivantes tentent difficilement de se reconstruire, souvent sans soutien et dans un pays où aucune réelle protection ne leur est assurée. Des programmes de protection des témoins devraient prendre forme avec le soutien international, s’appuyant sur des leçons tirées des Balkans et du Rwanda: sécurité physique, soutien psychologique, confidentialité des témoignages, et parfois relocalisation des témoins et de leurs familles. Rien n’est simple ni pas-à-pas: le coût logistique et financier d’un tel système est considérable pour un pays aux ressources limitées comme la Syrie. Certains survivants et victimes expriment aussi leur frustration face à ce qu’ils perçoivent comme une focalisation excessive sur les crimes du régime. En mai 2025, des victimes de l’État islamique dans les provinces orientales réclament que justice soit aussi rendue pour les massacres, les décapitations et l’esclavage perpétrés par Daech. De même, des familles civiles touchées par les bombardements de coalitions internationales demandent que ces épisodes fassent l’objet d’enquêtes impartiales. Cette tension rappelle que la justice transitionnelle ne peut se limiter à un seul récit : elle doit écouter toutes les souffrances, toutes les voies qui ont été meurtries, pour tendre vers une réconciliation qui ne laisse personne de côté.
Au-delà des cas individuels et des revendications territoriales, se dessine une réalité mouvante: l’inclusion des voix marginalisées, la sécurité des témoins, l’accès à des réparations dignes, et la nécessité de construire des mécanismes qui résistent à la fragmentation du pays. La route reste longue et incertaine, mais ce récit collectif avance avec la conviction que chaque voix qui parle, chaque plainte qui se tait enfin, peut nourrir une justice capable de renouer le fil de la dignité humaine.
Syrie à la croisée des chemins.
La Syrie avance péniblement vers l’aube, après un long calvaire marqué par cinquante années de dictature et près de quinze ans de conflit. Ce chemin a laissé des plaies profondes: crimes contre l’humanité, déplacements massifs, et une destruction du tissu social qui mettra des générations à guérir. Dans ce contexte, la justice transitionnelle n’est ni un concept abstrait ni un luxe superflu; elle constitue une nécessité vitale pour assurer la reconstruction d’une société brutalement fracturée et reprendre en main l’avenir. Comme l’a rappelé Iyad Al-Shaarani, « sans vérité, il n’y a pas d’avenir ». Reconnaître ces crimes n’est pas seulement une dette morale envers les victimes et leurs familles, mais aussi un acte politique fondamental pour ériger un État fondé sur le droit et non sur la peur. Noura Ghazi porte cette conviction au plus intime. Pour elle, la priorité absolue est de réparer et de retrouver la paix: « Pour moi, la justice transitionnelle n’a de sens que si elle aboutit à un véritable apaisement. Tout le reste, les tribunaux, les procédures, ne sont que des moyens pour atteindre cette paix. » Elle insiste sur l’importance de la reconnaissance comme première étape: « Pas seulement en tant qu’avocate, mais en tant que personne directement touchée, je peux dire que la première étape, c’est la reconnaissance. J’ai annoncé la semaine dernière que j’avais enfin obtenu des informations officielles sur l’exécution de mon mari. Pour moi, cela commence là : que les responsables et les autorités en place reconnaissent les crimes commis. Des centaines de milliers de personnes ont été affectées, et tant que cela ne sera pas reconnu, rien ne pourra vraiment commencer. »
L’histoire récente nous rappelle que les choix entre justice et amnistie portent des conséquences durables. Nuremberg, Kigali, Buenos Aires ou Sarajevo montrent que renoncer à la justice ouvre des fractures qui ne se referment pas facilement. Le Liban en est un exemple douloureux: l’absence de justice après la guerre civile a figé le pays dans un carcan confessionnel incapable de réformes. La Syrie ne peut suivre ce chemin desséchant. Aujourd’hui, même sans tribunal international dédié, des avancées existent: des procès s’ouvrent en Europe, des mandats d’arrêt visent des responsables syriens, Bachar al‑Assad y compris. Les témoignages des ONG, des familles et des activistes constituent une mémoire vivante qui refuse l’oubli. Dans ce mouvement, les victimes, les familles des disparus, les avocats comme Al-Shaarani et les organisations de défense des droits humains représentent les piliers de la justice transitionnelle; leur voix est cruciale et ne peut être réduite au silence. Pour éviter de retomber dans le cycle des violences, il faut repenser les institutions, garantir l’indépendance de la justice et inclure toutes les composantes de la société dans le processus de reconstruction. Sans ces réformes, la paix ne serait qu’une accalmie fragile. Comme l’a toujours défendu le professeur Antonio Cassese, pionnier de la justice internationale, la lutte contre l’impunité n’est pas un choix politique parmi d’autres : elle est indispensable pour restaurer la dignité des victimes et prévenir la répétition des atrocités de masse [117]. De son côté, Pablo de Greiff rappelle que la justice transitionnelle n’est pas tournée uniquement vers le passé : c’est une politique d’avenir, conçue pour transformer les causes structurelles de la violence et empêcher que la société ne revive les mêmes horreurs [118].
Questionner la réconciliation, c’est donc poser des choix difficiles : reconnaître ce qui s’est produit, nommer les responsables, parfois même de manière symbolique, et affirmer qu’il ne s’agit ni de vengeance ni d’oubli, mais d’un effort pour comprendre, reconnaître et réparer. Et cela demande du courage: « Oui, mais seulement si nous faisons le choix du courage. Le courage de reconnaître nos fautes, nos silences, nos complicités. Le courage de dire : cela s’est passé, et plus jamais ça. »
La Syrie se retrouve à une croisée des chemins. Oublier ou se souvenir, tolérer l’impunité ou œuvrer pour la justice, reproduire les horreurs du passé ou reconstruire les bases d’un État de droit : de ces choix dépendra son destin. Le chemin sera rude et semé d’obstacles, mais il est déjà amorcé. La reconstruction exigera bien plus que la réédification matérielle : elle nécessitera une reconnaissance sincère des crimes commis, un hommage rendu à la mémoire des victimes et une réforme structurelle du système judiciaire. Sans cela, le pays restera prisonnier de ses cauchemars passés ; avec cela, il pourrait peut-être s’ériger en exemple pour d’autres régions en proie à des conflits persistants, comme Gaza ou l’Ukraine. La fenêtre d’opportunité historique ouverte par la chute du régime en décembre 2024 ne peut se refermer si la communauté internationale ne surmonte pas ses divisions et si les nouvelles autorités syriennes n’affichent pas un engagement sincère envers la justice et les droits humains. Le temps joue contre la justice : les preuves peuvent disparaître, les témoins peuvent mourir ou perdre leurs souvenirs, les responsables peuvent fuir ou être assassinés avant d’être jugés. Il faut agir rapidement tout en observant les standards internationaux de procès équitable, un équilibre délicat à atteindre. La crédibilité du processus dépendra de sa capacité à être inclusif, transparent et impartial. Si les Syriens perçoivent la justice transitionnelle comme un instrument de domination d’un groupe sur un autre, ou comme une façade destinée à satisfaire la communauté internationale sans véritable engagement, alors le processus échouera à remplir ses objectifs de réconciliation et de reconstruction nationale. Les premiers mois de 2025 ont montré des signes encourageants : mobilisation de la société civile, soutien financier et technique de nombreux pays, émergence de nouvelles institutions dédiées à la justice transitionnelle. Mais les obstacles persistent : divisions géopolitiques, blocages au Conseil de sécurité de l’ONU, tensions internes entre factions syriennes, et l’ampleur vertigineuse de la tâche rappellent que le chemin sera long et semé d’embûches. Les mois et années à venir seront décisifs pour déterminer si le droit international peut tenir ses promesses envers le peuple syrien et si la justice transitionnelle peut guérir les blessures d’une nation profondément traumatisée. Comme le rappelle Iyad Al-Shaarani : « Nous n’avons pas le luxe d’attendre. Chaque jour qui passe sans justice est un jour où l’impunité se normalise, où les victimes perdent espoir, et où les fondements d’une paix durable s’érodent. » La Syrie doit devenir le moment où la communauté internationale prouve que le droit international n’est pas qu’une belle idée théorique, mais un engagement concret envers toutes les victimes, partout dans le monde. Des tribunaux étrangers, des ONG spécialisées et des institutions multilatérales se sont engagés dans des initiatives cruciales : collecte de preuves, soutien aux victimes, préparation de futurs procès visant à établir les responsabilités des crimes perpétrés. Mais cet engagement devra se maintenir sur le long terme, au-delà des cycles médiatiques et des changements politiques dans les pays donateurs. La justice transitionnelle n’est pas un sprint ; c’est un marathon qui exigera patience, persévérance et un engagement indéfectible envers les principes de justice, de vérité et de dignité humaine. Comme le souligne Noura Ghazi : « La justice transitionnelle, ce n’est pas une fin. C’est un chemin. Ce qui compte, c’est d’avancer, même lentement. Chaque témoignage, chaque geste, chaque acte de solidarité est une pierre sur ce chemin. » Malgré les blessures, elle garde foi en la possibilité d’une réconciliation fondée sur la vérité : « Notre lutte n’est pas seulement pour les Syriens, mais pour la dignité humaine. La Syrie doit faire le choix du courage, le courage de regarder son passé en face, d’honorer ses morts, de réparer ce qui peut l’être, et surtout de construire un avenir où la vie humaine a de la valeur. » Par sa parole calme et inébranlable, elle rappelle que seul ce chemin mènera peut-être à une paix véritable.

Alep, ville martyre du régime. Première ville libérée par HTS (Hay’at Tahrir al-Sham) le 29 Novembre 2024, deux jours après le début de l’offensive.Devant la Citadelle d’Alep, des bâtiments détruits rappelant la barbarie du régime toutes ces années durant. Une inscription perce la noirceur de ces stigmates avec une date et une heure: 06:18, heure à laquelle l’horreur prenait officiellement fin ce 8 Décembre 2014: « La Syrie sans Bashar al-Assad » enfin. Alep, Alep, Syrie. 1 Février 2025.
NOTES :
Cette analyse est née d’un travail sur le long terme de collecte de témoignages et de lectures: plus de trente rapports de la Commission d’enquête de l’ONU, des centaines d’études publiées par des organisations internationales et syriennes, des articles académiques sur la justice transitionnelle, des décisions de tribunaux du monde entier, et surtout, des témoignages de victimes et de survivants, récoltés entre Décembre 2024 et Novembre 2025, dont les voix résonnent à chaque page. Chaque source a apporté un éclairage différent. Les rapports onusiens ont fourni la rigueur des faits documentés. Les ONG ont offert le terrain, la proximité avec les victimes. Les chercheurs ont proposé le recul théorique. Les juristes ont tracé les contours du possible. Et les témoignages humains ont rappelé, constamment, que derrière chaque chiffre se cache un visage, une histoire, une dignité bafouée.
L’objectif de ce travail n’est pas de prétendre à l’exhaustivité, une ambition impossible face à l’ampleur du drame syrien, mais plutôt de proposer une analyse aussi complète, équilibrée et accessible que possible. Une passerelle entre l’expertise technique et la compréhension citoyenne, entre le droit international et la réalité humaine.
Ce texte devra évoluer au fil du temps, car la situation syrienne ne cesse de se transformer, et avec elle, les défis et les espoirs de la justice transitionnelle.
Fixers :
Israa Alfrai, Majd al-Boukai, Ramez Daoud.
Traduction :
Nawara El Zo, Adnan Farzat.Remerciements spéciaux à Iyad Al-Shaarani, à Noura Ghazi, à Amani Abboud, à Um Mahmoud, à Michel Ghaith, à Khaldoun al-Mallah, à Éléonore P., à Nawara EZ., à Ahmad K., à Adnan F., à Aïda F. et à toutes ces personnes rencontrées sur le terrain et qui m’ont fait confiance en se confiant et en racontant leur histoire et leurs aspirations.
Annexes :
[82]: Centre de poursuite des crimes d’agression: basé à La Haye, c’est une structure internationale chargée de soutenir les enquêtes et poursuites concernant le crime d’agression, l’un des crimes les plus graves du droit international, en fournissant expertise juridique, coordination et analyse aux États et juridictions compétentes.
[83]: Maria Lvova-Belova est la commissaire russe aux droits de l’enfant, mise en cause par la Cour pénale internationale pour la déportation et le transfert illégal d’enfants ukrainiens vers la Russie durant la guerre.
[84]: La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations sous forme de registre décentralisé et sécurisé, où les données sont enregistrées de façon immuable et vérifiable sans intermédiaire.
[85]: Bellingcat est un collectif d’enquête en source ouverte qui utilise des données publiques, images, vidéos, réseaux sociaux, archives numériques, pour documenter des crimes, vérifier des faits et mener des investigations indépendantes sur les conflits, les violations des droits humains et la désinformation.
[86]: VEREINTE NATIONEN – German Review on the United Nations, vol. 62, n°1, 2014.
« Nous devons à tout prix empêcher la politisation de la CPI » Entretien avec Fatou Bensouda, procureure en chef de la Cour pénale internationale (CPI), et ancienne procureure générale et ministre de la Justice de la République de Gambie, sur l’impact de la CPI, les critiques des États africains, la nouvelle stratégie d’enquête, l’importance de la protection des témoins, la coopération avec les États non parties et le rôle dissuasif de la Cour.
https://dgvn.de/fileadmin/user_upload/DOKUMENTE/English_Documents/Interview_Fatou_Bensouda.pdf
[87]: Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL): mission de maintien de la paix de l’ONU déployée au Sud-Liban pour surveiller le cessez-le-feu, appuyer l’armée libanaise et contribuer à la stabilité à la frontière avec Israël.
[88]: La Ligne bleue est la ligne de démarcation tracée par l’ONU en 2000 pour confirmer le retrait israélien du Sud-Liban ; elle n’est pas une frontière officielle, mais une ligne technique destinée à réduire les tensions et à faciliter le travail de la FINUL.
[89]: La résolution 1701 du Conseil de sécurité (2006) est une décision de l’ONU qui a mis fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah, en exigeant un cessez-le-feu, le déploiement de l’armée libanaise au Sud-Liban, le renforcement de la FINUL et l’arrêt des hostilités ainsi que du trafic d’armes non autorisé.
[89]: Le désarmement du Hezbollah** désigne le débat national et international autour du retrait des armes de la milice chiite libanaise, seule faction armée restée active après la fin de la guerre civile. Alors que toutes les autres milices ont été dissoutes en 1990, le Hezbollah a conservé son arsenal au nom de la résistance contre Israël. Depuis le cessez-le-feu conclu en novembre 2024 entre le Liban avec Israël, le gouvernement libanais se retrouve, pour la première fois de façon publique, à prendre des mesures concrètes vers le désarmement du Hezbollah sous la pression internationale, notamment des États‑Unis et d’Israël . L’idée selon laquelle seules les forces de l’État peuvent détenir des armes est désormais officiellement inscrite comme un objectif, notamment un plan d’action confié à l’Armée libanaise pour centraliser le contrôle des armes et progressivement confiner les stocks hors du sud et du littoral chiite.
[90]: Les Forces armées soudanaises (SAF) sont l’armée nationale du Soudan, institution centrale du pouvoir depuis l’indépendance, impliquée dans plusieurs coups d’État et actuellement engagée dans un conflit majeur contre les Forces de soutien rapide (RSF).
[91]: Les Forces de soutien rapide (RSF) sont une puissante force paramilitaire soudanaise issue des milices janjawids du Darfour, devenue une structure armée autonome et rivale des Forces armées soudanaises (SAF), et accusée de graves violations des droits humains.
[92]: Les milices janjawids sont des groupes armés arabes du Darfour, soutenus par le gouvernement soudanais dans les années 2000, responsables d’attaques massives contre les populations civiles et de crimes graves qui ont conduit à des accusations de génocide et de crimes contre l’humanité.
[93]: La Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS / UNITAMS) est une mission politique de l’ONU créée pour accompagner la transition soudanaise après la chute d’Omar el-Béchir, en soutenant le processus démocratique, la protection des droits humains, la paix et la stabilisation du pays.
[94]: Le Sudan Human Rights Hub est un réseau d’organisations et d’experts soudanais qui documente les violations des droits humains, soutient les victimes et fournit des analyses indépendantes sur la situation au Soudan pour appuyer les efforts de justice et de responsabilité.
Le Darfur Network for Human Rights est une coalition d’activistes et d’ONG du Darfour qui collecte des témoignages, surveille les abus commis dans la région et défend les droits des populations civiles, notamment face aux violences des milices et aux déplacements forcés.
[95]: La Commission d’enquête internationale indépendante est un mécanisme créé par l’ONU pour enquêter sur les violations graves du droit international dans un pays donné, en collectant des preuves, en identifiant les responsables et en présentant des rapports destinés à soutenir la justice et la responsabilité.
[96]: 15 janvier 2025: https://www.ungeneva.org/fr/news-media/news/2025/01/102232/syrie-la-justice-transitionnelle-est-cruciale-affirme-le-chef-des
[97]: Le droit de veto de la Russie est la capacité, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, de bloquer toute résolution, même si elle est soutenue par la majorité des États. La Russie utilise ce droit pour empêcher des décisions qu’elle considère contraires à ses intérêts, notamment sur la Syrie, où elle a bloqué de nombreuses résolutions liées à la responsabilité internationale, aux enquêtes ou aux sanctions.
https://press.un.org/en/2022/ga12436.doc.htm
[98]: Les attaques chimiques de 2013 en Syrie désignent une série d’attaques au gaz toxique, notamment au sarin, menées en août 2013 par le régime de Bashar al-Assad dans les zones rebelles d’Adra, Douma et surtout de la Ghouta orientale, causant des centaines de blessés et plus d’un millier de morts. Ces attaques sont qualifiées de crimes contre l’humanité, car elles relèvent d’une violence délibérée, massive et systématique visant des populations civiles.
[99]: Marie Colvin, journaliste américaine du Sunday Times et Rémi Ochlik, photographe français indépendant, ont été tués le 22 février 2012 à Homs, en Syrie, lorsque le centre de presse improvisé dans lequel ils travaillaient a été délibérément ciblé et bombardé par l’artillerie du régime syrien. L’enquête ultérieure, notamment devant un tribunal civil américain, a conclu que les forces gouvernementales avaient localisé le signal satellite utilisé par les journalistes pour transmettre leurs reportages, puis frappé intentionnellement le bâtiment afin de réduire au silence la couverture médiatique du siège de Homs.
[100]: Saleh al-Abdullah: ancien officier de l’armée de l’air syrienne lié à l’appareil sécuritaire du régime Assad, arrêté en mars 2025 pour des faits présumés de répression et de violences contre des civils.
Nariman Mustafa Hijazi: ancienne agente de sécurité surnommée « la bouchère de Daraya » pour son rôle présumé dans des exécutions et des disparitions forcées, arrêtée en mai 2025.
Daas Hassan Ali: ex-responsable de la Sûreté de l’État à Deir ez-Zor, poursuivi pour participation à des opérations de répression de masse et des abus systématiques.
Wassim al-Assad: cousin de Bachar al-Assad, figure influente du milieu pro-régime, arrêté en 2025 dans une affaire emblématique liée à des réseaux criminels et à des abus commis sous l’ancien pouvoir.
[101]: Le massacre de Houla désigne l’exécution de plus de 100 civils, dont de nombreux enfants, le 25 mai 2012 dans la région de Taldou (province de Homs). Selon les enquêtes de l’ONU, les tueries ont été commises par des forces alignées sur le gouvernement syrien et par des milices shabiha, après des bombardements de l’armée. C’est l’un des premiers massacres de masse du conflit syrien.
[102]: Les milices shabiha sont des groupes paramilitaires pro-régime connus pour leurs opérations de répression violente en Syrie. Exécutions sommaires, torture, pillages et d’intimidation des civils dès 2011, elles ont agi indépendamment et/ou en soutien direct aux forces de sécurité du régime Assad.
[103]: https://snhr.org/blog/2025/07/05/snhrs-monthly-report-on-arrests-detentions-in-syria-4/
[104]: La débâssification mise en œuvre en Irak après 2003 a entraîné la dissolution de l’armée et l’exclusion massive des membres du parti Baas, de toutes les institutions publiques. En renvoyant des dizaines de milliers de fonctionnaires, cadres et officiers, souvent de simples affiliés obligés sous l’ancien régime, cette purge a créé un vide institutionnel et sécuritaire, précipité l’effondrement de l’État et alimenté l’insurrection, ouvrant la voie à la montée de groupes armés comme Al-Qaïda en Irak puis Daech.
Le parti Baas est un parti nationaliste arabe fondé sur l’idéologie du « baasisme », mêlant panarabisme, socialisme d’État et autoritarisme. Il a dominé la vie politique en Syrie et en Irak, où il a servi de pilier idéologique et organisationnel aux régimes de Hafez et Bachar al-Assad et de Saddam Hussein, structurant étroitement l’appareil sécuritaire et administratif.
[105]: Nousha Kabawat est une spécialiste syrienne de la justice transitionnelle et de la résolution des conflits. À l’ICTJ (International Center for Transitional Justice), elle travaille sur les processus de paix, la participation des communautés affectées et les mécanismes de vérité et de réparation dans les contextes post-conflit.
[106]: Policy Report Our Pain Turned into Policy – Advancing Peace and Justice Through Community Dialogue in Syria – July 2025.
–https://www.ictj.org/sites/default/files/2025-07/ictj_report_syria-community-dialogues_en_0.pdf
[107]: Western, regional powers pledge to support Syria transition, John Irish / February 13, 2025.
[108]: -Special Tribunal for Lebanon (Wikipédia) : https://en.wikipedia.org/wiki/Special_Tribunal_for_LebanonWikipédia+2Wikipédia+2
-Tribunaux « ad hoc » internationaux (Wikipédia) : https://en.wikipedia.org/wiki/Ad_hoc_international_criminal_tribunals Wikipédia
-Globalex : International Criminal Courts for the Former Yugoslavia, etc. : https://www.nyulawglobal.org/globalex/international_criminal_courts1.html GlobaLex
-Reuters : UN tribunal for Lebanon runs out of funds : https://www.reuters.com/world/middle-east/exclusive-un-tribunal-lebanon-runs-out-funds-beiruts-crisis-spills-over-2021-05-25/ Reuters
-ODI HPN : Financing the ICC: what can be learned from the ad hoc tribunals : https://odihpn.org/en/publication/financing-the-icc-what-can-be-learned-from-the-ad-hoc-tribunals/Humanitarian Practice Network
-UN Press Release (2009) on Rwanda/Yugoslavia tribunals budget : https://press.un.org/en/2009/gaab3936.doc.htm ONU Press
-ICTJ report: Hybrid Tribunals : https://www.ictj.org/sites/default/files/ICTJ_Report_Hybrid_Tribunals.pdfCIJT
-Additional pages (Global Policy, etc.) : https://archive.globalpolicy.org/international-justice/international-criminal-tribunals-and-special-courts.html Forum Mondial de Politique
[109]: Le Tribunal des Khmers Rouges, officiellement appelé Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), est une juridiction hybride créée en 2006 par le Cambodge et l’ONU pour juger les principaux responsables des crimes commis par le régime des Khmers rouges (1975-1979). Il a poursuivi des dirigeants pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
[110]: Le modèle d’assistance judiciaire au Kosovo désigne le système mis en place sous l’administration de l’ONU (MINUK), où des juges et procureurs internationaux ont été intégrés dans les tribunaux locaux pour renforcer l’indépendance, la compétence technique et la crédibilité de la justice. Ce modèle mixte visait à assister les institutions kosovares tout en garantissant des standards internationaux dans les affaires sensibles (crimes de guerre, corruption, criminalité organisée).
La MINUK (Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo) est une mission établie par l’ONU en 1999 pour administrer provisoirement le Kosovo après le conflit. Elle était chargée d’assurer la sécurité, de reconstruire les institutions et de mettre en place un système judiciaire fonctionnel jusqu’au transfert progressif des responsabilités aux autorités locales.
[111]: Au Maroc, l’Instance Équité et Réconciliation (IER) est une commission vérité créée en 2004 pour enquêter sur les violations graves des droits humains commises entre 1956 et 1999, notamment les disparitions forcées et la torture durant les « années de plomb ». Elle a permis d’indemniser des victimes, d’établir un récit officiel des abus et de recommander des réformes institutionnelles.
[112]: Pablo de Greiff, “Justice and Reparations”, in The Handbook of Reparations, Oxford University Press, 2006.
[113]: Lina Haddad Kreidie est une politologue et chercheuse jordanienne spécialisée dans les questions de réfugiés, de conflits régionaux et de dynamiques transfrontalières au Moyen-Orient. Ses travaux portent notamment sur l’impact du conflit syrien en Jordanie, les politiques d’accueil, la sécurité régionale et les perspectives de paix et de justice pour les Syriens.
[114]: HRW: Recommendations on Next Steps for Comprehensive Justice for Syria https://www.hrw.org/news/2025/11/17/recommendations-on-next-steps-for-comprehensive-justice-for-syriaHuman Rights Watch – 17 Novembre 2025.
ICTJ: Home in Syria: A New Chapter for Justice and Reconciliation – https://www.ictj.org/latest-news/home-syria-new-chapter-justice-and-reconciliation – 11 Novembre 2025.
– Les espoirs de justice et de responsabilité en Syrie grandissent – https://www.ictj.org/fr/dernières-nouvelles/les-espoirs-de-justice-et-de-responsabilité-en-syrie-grandissent – 3 Mars 2025.
SJAC: A Roadmap for Transitional Justice in Syria – September 2025 – https://syriaaccountability.org/a-roadmap-for-transitional-justice-in-syria-september-2025 – 24 Septembre 2025.
STJ: Principes généraux pour la mise en œuvre de la justice, de la vérité et de l’équité en Syrie Du point de vue de la société civile et des associations de survivantes et survivants
– https://stj-sy.org/fr/principes-generaux-pour-la-mise-en-oeuvre-de-la-justice-de-la-verite-et-de-lequite-en-syrie/ – 10 Octobre 2025.
Un processus “Syrian-led” désigne une approche de la justice ou de la transition politique conduite et définie par les Syriens eux-mêmes, dans laquelle la communauté internationale peut apporter un soutien technique ou financier, mais sans diriger ni imposer les décisions. Ce principe vise à garantir la légitimité, l’appropriation locale et la durabilité du processus.
[115]: Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES): entité politico-administrative mise en place en 2014 par les forces kurdes et leurs alliés dans les régions du nord et de l’est de la Syrie. Elle fonctionne sur un modèle de gouvernance locale décentralisée, fondé sur la participation communautaire, l’égalité des genres et le pluralisme ethnique, et administre de vastes territoires auparavant contrôlés par l’État islamique.
[116]: EUAA (European Union Agency for Asylum): COI Report – Syria: Country Focus – March 2025,
https://coi.euaa.europa.eu/administration/easo/PLib/2025_03_EUAA_COI_Report_Syria_Cou
ntry_Focus.pdf
UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population): AN OVERVIEW OF GENDER-BASED VIOLENCE IN SYRIA – 2025
https://arabstates.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/2025-06/Advocacy Brief 2025 A 08.pdf
UNCHR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés): Gender-Based Violence (GBV) Prevention and Response in Syria, January – June 2025
SNHR (Syrian Network for Human Rights): On the International Day for the Elimination of Violence against Women: SNHR’s 13th Annual Report on Violations Against Females in Syria– 25 November 2024
Regional Observatory on VAWG, EuroMed Feminist Initiative: Violence Against Women and Girls In Syria, Laws, Knowledge, Awareness, Attitudes – 2023
https://www.efi-rcso.org/sites/default/files/2024-07/study_on_vawg_in_syria-_en_0.pdf
« Vous, les alaouites, vous êtes nées pour assouvir notre plaisir » : dans l’ouest de la Syrie, le calvaire des femmes kidnappées Sur fond de vengeance communautaire et d’impunité, des dizaines de femmes ont été enlevées dans les provinces de Lattaquié, Tartous, Homs, Hama et Damas depuis la chute du régime, subissant de nombreux sévices, dont des viols. »
[118]: Antonio Cassese, International Criminal Law (Oxford University Press, 2013), [119]:Paulo de Greiff, rapport A/HRC/21/46 ou article 2021, The Handbook of Reparations (Oxford University Press, 2006), Transitional Justice and Development: Making Connections (Social Science Research Council, 2009)