Le marché aux données : quand la frontière devient un algorithme

Depuis octobre 2025, l’Union européenne a commencé à déployer un nouveau système de contrôle aux frontières : l’Entry/Exit System (EES). Derrière cet outil présenté comme un progrès sécuritaire, se cache un vaste marché des données et une refonte silencieuse des politiques migratoires. L’EES enregistre désormais les empreintes digitales et informations personnelles de tous les voyageurs européens et non européens entrant ou sortant du territoire. Ces données sont stockées pendant plusieurs années dans une base centralisée, et croisées avec d’autres systèmes comme le SIS, Eurodac ou le futur ETIAS, un programme de profilage automatisé évaluant le “risque” présenté par chaque voyageur. Au total, près de 700 millions de personnes seront concernées par cette surveillance algorithmique.

Ces technologies, issues d’une longue histoire de contrôle et de classification des corps, prolongent une logique de tri automatisé fondée sur des critères (âge, nationalité, profession…) susceptibles de reproduire les biais raciaux et sociaux déjà présents dans nos sociétés. La frontière devient ainsi un dispositif invisible, capable de filtrer les mobilités bien avant le passage physique.

Derrière cette infrastructure numérique se trouvent les géants du secteur technologique : IBM, Atos, Idemia, Leonardo, Sopra Steria, bénéficiaires de contrats publics de plusieurs centaines de millions d’euros.
Leur rôle croissant dans la gestion des frontières pose des questions majeures sur la protection des données, la transparence démocratique et la marchandisation du contrôle migratoire. Alors que la promesse officielle est celle d’une Europe plus sûre, le marché aux données révèle surtout une frontière de plus en plus algorithmique et de moins en moins humaine.


Autrice : Maëlle Parfait