La liberté de la presse en danger

« Soit vous coopérez, soit vous finissez en prison », déclare un journaliste tunisien en exil.

Journaliste tunisien, Walid Bourouis, vit désormais en exil en France. Son crime ? Avoir critiqué le régime autoritaire du président Kaïs Saïed. Bourouis dénonce le décret-loi 54, qui restreint la liberté de la presse et réduit au silence toute opposition. Son histoire met en lumière la répression croissante des médias et des militants en Tunisie.


*Cet entretien a été réalisé avant les événements de mai 2024 au cours desquels des militants, des avocats et des journalistes tunisiens ont été arrêtés.

Un décret menaçant les journalistes

La situation en Tunisie est devenue plus dangereuse pour Bourouis après qu’il ait publiquement condamné le décret-loi 54, publié en septembre 2022. Ce décret stipule que la diffusion intentionnelle de rumeurs ou de fausses nouvelles est passible d’une amende de 50 000 dinars tunisiens (15 670 euros) et de cinq à dix ans d’emprisonnement, la peine la plus longue étant appliquée si l’information jugée fausse a visé un agent de la fonction publique.

Cela était vrai jusqu’à la prise de pouvoir unilatérale de l’actuel président Kaïs Saïed en 2021 (inaugurée en octobre 2019), un homme que Walid décrit comme un dirigeant à la fois « dictateur, fasciste et populiste ». En juillet 2021, Kaïs Saïed a commencé à gouverner par décret, dissolvant le gouvernement et gelant le parlement. À l’heure actuelle, a déclaré Bourouis, « il n’y a qu’une seule couleur politique – c’est la couleur de Kaïs Saïed ».

« Le décret-loi 54 vise ce qui se passe sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels… personne ne peut y échapper ».

Un « message clair » aux journalistes

« Il y a une atmosphère de peur qui règne parmi les journalistes », dit Walid Bourouis, répétant cette phrase plusieurs fois au cours de la conversation avec aidóni – une atmosphère de peur. « Je sais que d’autres journalistes présents en Tunisie pratiquent l’autocensure. Et si ce n’est pas eux, ce sont leurs rédacteurs en chef », explique-t’il. « C’est un pays qui s’est transformé en prison à ciel ouvert pour les opposants politiques, les journalistes et les défenseurs des droits (…) Leur point commun est de défier Kaïs Saïed ». Néanmoins, lorsqu’on lui demande s’il a – ou s’il aurait – restreint sa propre liberté d’expression, Walid affirme : « l’autocensure n’a pas sa place dans mon dictionnaire ».

Tant que Walid ne se trouve pas sur le sol tunisien, il pense être à l’abri de toute action de la part du gouvernement de son pays.  Il n’a cependant pas abandonné son combat pour la liberté de la presse dans son pays. « Nous continuons à faire avancer les choses ici en France. Bien sûr, nous n’avons pas beaucoup d’influence ». « Les journalistes qui travaillent sur la réalité de ce qui se passe en Tunisie ne peuvent pas mettre les pieds en Tunisie. Tant que Kaïs Saïed est au pouvoir, il m’est impossible [de rentrer]. Retourner en Tunisie signifierait aller directement en prison ».

Journaliste : Nesreen Yousfi
Edition : Rogerio Simoes
Traduction : Méline Laffabry

Avec les personnes exilées comme boucs émissaires nationaux, la presse tunisienne fait face à un climat de peur

La censure accrue et la propagande entravent la couverture des abus contre les individus d’Afrique subsaharienne en Tunisie. Alors que le discours officiel tente de convaincre le peuple que la migration va changer la composition démographique du pays, les médias indépendants peinent à donner une voix aux personnes en situation d’exil venant d’autres régions d’Afrique.

En Tunisie, de nombreux médias évitent de critiquer les politiques du gouvernement sur cette question ou d’amplifier les voix des personnes en situation d’exil. Ce manque de points de vue diversifiés a le potentiel de solidifier une opinion publique négative, biaisée contre les migrants, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne. « Dans les médias, on peut distinguer deux lignes : les médias publics qui traitent cette question du point de vue de l’État, et les médias privés et alternatifs qui critiquent ce discours haineux et braquent les projecteurs sur les vrais problèmes des migrants subsahariens en Tunisie. », a déclaré Walid Bourouis, journaliste et expert en communication tunisien, exilé en France depuis avril 2023, à aidóni.

« Malheureusement, la version officielle gagne de plus en plus du terrain et la majorité des tunisiens pensent que la présence des subsahariens sur le territoire est un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique du pays », a déclaré Bourouis. Bien qu’il reconnaisse les efforts de la société civile pour repousser cette tendance, il n’est pas optimiste quant à l’avenir, ajoutant : « Confrontée à ce régime despotique, la bataille est perdue d’avance ».

Hostilité croissante

Harcèlement et poursuites

« Plusieurs médias, ont changé leur ligne éditoriale, on recrutant même des chroniqueurs pro pouvoir. Il y a un climat de peur qui règne et qui pèse lourd sur les journalistes en Tunisie », a déclaré le journaliste Walid Bourouis.

Journaliste : Teona Sekhniashvili
Editeur : Şebnem Adıyaman
Traduction : Méline Laffabry



Cette série multimédia est produite par Specto Média.
Autrice : Eléonore Plé
Enquête et réalisation : Eléonore Plé
Fixeur : Amin
Réalisation sonore : Norma Suzanne
Composition originale : Norma Suzanne
Identité graphique : Amandine Beghoul et Baptiste Cazaubon
Doublage version anglaise : Isobel Coen
Montage : Hugo Sterchi et Norma Suzanne
Studio d’enregistrement : Radio M’S

Cette série multimédia est réalisée en collaboration avec aidóni pour la traduction, la rédaction des articles et des portraits. Pour découvrir la série en version anglaise, rendez-vous sur aidóni.

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