ÉPISODE 2 – Salim

07 octobre 2021 / Eléonore Plé
VIDEOS Frontière franco-britannique
Camp de Grande-Synthe, département du Nord

Salim, d’origine kurde, grandit dans un village au nord-est de la Syrie, dans la région d’Hassaké. Avant de débuter son exil, il prête main forte à son père, berger.

La guerre civile débute en 2011 en Syrie. Salim est alors soumis à l’obligation d’intégrer l’armée. Contraint de rejoindre les rangs du YPG (unité de protection des peuples, milice kurde), il refuse pourtant de le faire. Il ne souhaite pas mourir comme certains de ses amis partis au front. Pour éviter des représailles et en raison de la guerre, il n’a d’autre choix que de fuir son pays le 15 septembre 2018.

Une nuit, après avoir traversé la frontière, il se retrouve emprisonné en Turquie car il est soupçonné d’être un soldat kurde. Il est enfermé trois mois. À sa sortie, il devient barbier pour gagner de l’argent et poursuivre sa route. Rester en Turquie n’est pas une option pour lui, en raison des persécutions de la part du gouvernement turc à l’encontre des kurdes. Il choisi donc de se rendre au Royaume-Uni afin d’aider sa famille, restée en Syrie et en Irak. Passé par la Grèce et la Bulgarie, son exil se poursuit, parsemé de violences physiques et de nombreux refoulements brutaux, lors de son entrée sur le sol européen ou encore sur la route des Balkans.

Arrivé sur le camp de Grande-Synthe en ce début de l’année 2021, il tente chaque nuit de traverser la frontière franco-britannique en camion. Lors de ces tentatives de passage, la police française n’hésite pas à faire usage de la force ou encore à utiliser des bombes lacrymogènes pour faire sortir les personnes exilées des camions. Salim témoigne devant moi de ces violences, subies à l’abri des regards et toujours de nuit. Malgré tous les moyens déployés pour l’en dissuader et les risques toujours plus importants, Salim ne cesse jamais d’essayer d’atteindre son but.

immersion lors de deux tentatives de passage en camion

«  Après tout le chemin parcouru où j’ai vécu des choses douloureuses, comment puis-je aller bien ? J’adore le Royaume-uni mais ce n’est pas encore fini. Je ne peux toujours pas souffler et être totalement serein sur mon avenir, aussi loin de ma famille.  »

Trois ans après son départ de Syrie, le voici aujourd’hui au Royaume-Uni. Son ultime passage s’illustre par un voyage durant deux jours à bord d’un camion. Salim passe par le tunnel sous la Manche pour arriver jusqu’à Londres. Une fois sur place, il est placé en garde à vue durant 24 heures. Les policiers britanniques lui prennent son téléphone et ne le lui rendent jamais. Il a énormément de difficultés à pouvoir s’en payer un autre. Les autorités le dirige ensuite vers un hôtel. Après être passé par trois établissements différents en plusieurs mois, il loge désormais près de Chester et attend sa prochaine interview avec les services du gouvernement afin d’obtenir sa demande d’asile. Il déplore des délais très longs.

Malgré son attachement au Royaume-Uni, Salim se sent déraciné et seul. Sa famille lui manque terriblement. Il vit chaque jour avec l’incertitude de ne pas savoir ce qui se passera le lendemain. Cette angoisse permanente, concernant son avenir, l’affecte beaucoup ainsi que les nombreux traumatismes dont il a été victime.


Allons plus loin sur la situation politique en Syrie

Minorité kurde

Les Kurdes sont un peuple très ancien, présents dans cette région depuis l’Antiquité. Ils sont aujourd’hui entre 30 et 40 millions, répartis entre quatre pays : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.  À la fin de la première guerre mondiale, les puissances occidentales promettent aux Kurdes un état, celui-ci ne verra jamais le jour. Depuis, les Kurdes s’organisent à travers différents partis politiques, allant de mouvements autonomes à différentes organisations armées de lutte pour l’indépendance. La volonté d’une unification du peuple Kurde se heurte à l’oppression des différents régimes de Damas, de Bagdad, de Téhéran, d’Ankara et des dissensions internes.

zoom sur la syrie

Les Kurdes syriens représentent près de 12% de la population syrienne, cette minorité est donc la plus importante du pays. L’identité kurde est ciblée et largement réprimée.

Années 1960, discriminations systémiques
Avec l’essor du nationalise arabe, les autorités syriennes mettent en place une politique discriminatoire. L’armée est purgée des officiers kurdes, la musique kurde et la pratique de la langue sont interdites. Une ceinture « arabe » est mise en place pour couper les kurdes de ceux de Turquie et d’Irak, sur plus de 280 km. Ce qui entraîne un déplacement forcé des populations. Près de 120 000 personnes deviennent apatrides. Avec leurs descendants, ce chiffre monte aujourd’hui à près de 300 000 personnes privées de citoyenneté. Ils ne peuvent pas postuler à des emplois publics, ni posséder de maison et encore moins aller à l’université.

Années 1970, prise de pouvoir d’Hafez el-Assad
Issu de la minorité Alaouite, il revient sur quelques mesures discriminatoires mais pas celle concernant les apatrides. Il élabore une politique plus ouverte à l’encontre des kurdes, il prend conscience que cette minorité peut lui être utile face à la majorité sunnite de la population (70%). Sans permettre aux kurdes une revendication politique et culturelle, il puisera pourtant dans les forces armées kurdes pour des jeux de pouvoirs et d’alliances avec ses voisins régionaux ou encore pour servir la répression à l’encontre des frères musulmans début des années 1980.

Années 2000, entre répressions et espoirs
Le nationalisme kurde revient sur le devant de la scène pour réclamer la fin de l’interdiction de la langue et de l’expression culturelle, lors de la prise de pouvoir de Bachar el-Assad, après la mort de son père. En 2004, suite à des émeutes à Qamichli (liées à des affrontements lors d’un match de foot entre supporters), les manifestations kurdes qui s’en suivent sont lourdement réprimées : 43 morts, des centaines de blessés ainsi que 2000 arrestations.

Dès le début de la guerre civile, en 2012, les troupes de l’armée gouvernementale se retirent de certaines villes kurdes face à l’avancée-éclair de l’armée syrienne libre (résistance) dans d’autres régions. Kobané et Efrin passent sous le commandement du PYD (Parti de l’union démocratique kurde), affilié au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Face à la montée en puissance de l’Etat Islamique sur le territoire syrien, les Kurdes ont mené le combat au côté des occidentaux avant que les troupes occidentales ne se retirent. Les victoires face à Daesh ont permis aux Kurdes de proclamer leur état, le Rojava. Un petit bout de territoire dans lequel s’est mis en place une alternative démocratique et communiste. Mais la Turquie, frontalière, n’en veut pas. Elle considère cette région fédérale autoproclamée comme menaçante.

Depuis 2016, Ankara a lancé trois offensives permettant de récupérer 2000 km de territoire dans le nord de la Syrie. Malgré les offensives turques, à l’origine de nombreuses pertes humaines, des dégâts matériels importants ainsi que l’abandon de la coalition internationale, le Rojava continue de résister.
Un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, rendu public mi-septembre 2020, dénonce l’ampleur de l’horreur dans les zones contrôlées par la Turquie, dans un silence international presque total. Pillages, déplacements de population, arrestations arbitraires, réquisitions des maisons. Les Kurdes paient le prix fort. Et le pire : les viols, comme armes de guerre. Des femmes, des fillettes, violées collectivement, devant leur famille. Les femmes sont d’autant plus visées que chez les Kurdes, elles sont des combattantes comme les hommes.

combattant.e.s kurdes

Que ce soit en Irak avec les peshmergas ou en Syrie avec les unités de protection des peuples (YPG), les milliers de combattant.e.s kurdes ont fait tomber l’Etat Islamique. Ce sont des troupes kurdes féminines qui ont sauvé des milliers de Yazidis pris au piège par Daech sur le mont Sinjar en Irak en 2014, et ont participé à la libération de la ville de Raqqa du joug de l’organisation terroriste en 2017, ou encore de Kobané. Ville aujourd’hui encerclée, devenue le visage de l’abandon des occidentaux face à l’invasion turque.

Pour autant, les milices kurdes sont accusées d’avoir enrôlé de force des enfants pour grossir les rangs des YPG, selon l’ONG Human Rights Watch, en violation du droit international. Salim fait également état de l’obligation d’intégrer l’armée qu’il a lui-même subi. Raison pour laquelle il a fui son pays.

La guerre contre Daesh terminée, une autonomie reste à construire pour les Kurdes dans cette région du nord-est de la Syrie. Le but du projet politique au Rojava est pluriel, rassemblant les questions de pluralisme culturel, d’émancipation des femmes, de l’écologie ou encore de l’économie sociale. La région est encore instable face aux différents acteurs encore nombreux sur le territoire et aux enjeux géopolitiques exacerbés.

Le conflit Syrien, débuté il y a 10 ans, n’est toujours pas terminé, faisant plus de 388 000 morts et des millions de déplacés.


Sources :

Bastamag
Reporterre
France Inter
L’express
Le monde
France culture

Patrice Franceschi, et son livre « S’il n’en reste qu’une »
Salam Kawakibi, chercheur au Centre Arabe de Recherches et d’Etudes politiques

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