Human Rights Observers (HRO) a pour but de documenter afin de dénoncer les violations des droits humains auprès des personnes en situation d’exil à la frontière franco-britannique, plus précisément à Calais et à Grande-Synthe. Leur fonctionnement se rapproche de la méthode du copwatching, littéralement “surveillance de la police”. Ils sont présents autant que possible lors des opérations de police, et surtout lors des expulsions de lieux de vie informels, afin de documenter ces pratiques.
Dans un rapport publié, HRO recense les violences d’État à la frontière franco-britannique en 2020. Sur cette même année, 1058 expulsions de lieux de vie ont été conduites. Depuis janvier à septembre 2021, ce ne sont pas moins de 849 expulsions qui ont été recensées par les équipes d’observation.
Les tentes, les couvertures et les affaires personnelles sont détruites et saisies par la société de nettoyage APG (Apogée Propreté Conseil). Ces opérations sont encadrées par un convoi de police. Quand les forces de l’ordre arrivent, les personnes exilées n’ont en général que quelques minutes pour sortir de la tente et récupérer ce qu’ils peuvent avant que la police ne détruise tout.
Les équipes de HRO rapportent les techniques de violences déployées comme l’utilisation des couteaux pour lacérer les tentes et les bâches. La force est souvent employée pour faire sortir les personnes des abris de fortune, les propos à caractère raciste parfois utilisés ou encore les actes d’intimidation exercés à l’encontre des observateurs et des journalistes pour les éloigner du périmètre mis en place.
Ces opérations sont accompagnées de contrôles d’identité souvent abusifs et donnent lieu à des arrestations puis placement en rétention administrative alors illégaux.
Les biens saisis sont censés pouvoir être récupérés. Les faits démontrent que 72,6 % des personnes n’ont pas retrouvé ces effets de valeurs. Il apparaît même qu’un nombre important des sacs à dos retrouvés sont vidés. HRO dénonce dans un communiqué de presse un système de vol institutionnalisé, sous couvert d’un protocole mis en place par la préfecture du Pas-de-Calais. Les populations exilées présentes dans des campements de fortune du littoral nord subissent quotidiennement un déplacement forcé et sont confrontées à la dégradation, la confiscation ou encore la destruction de leurs biens matériels.
Cette technique de harcèlement consiste tout simplement à remettre en errance ces populations déjà fragilisées et épuisées par des conditions de vie extrêmement dures. Elles ont des difficultés à recharger leurs téléphones, dorment dehors peu importe les conditions météorologiques et dépendent des distributions alimentaire. L’accès à l’eau est également limité. C’est sans compter les nombreuses tentatives de passage vers le Royaume-Uni qui sont éprouvantes physiquement et psychologiquement face à une frontière de plus en plus militarisée.
Depuis 2018, le droit est utilisé comme stratégie de harcèlement. Les lieux de vie sont expulsés sur la base du délit flagrant d’occupation illicite, alors que ces lieux sont occupés en général depuis des semaines, des mois, voire des années.
« Ce système bien rodé reflète le caractère xénophobe et répressif de la politique française à l’égard des personnes en transit, qui sont quotidiennement abordées sous un angle sécuritaire. Les forces de l’ordre ne sont pas utilisées dans un objectif de protection, mais pour exécuter et encadrer un harcèlement pensé et organisé par les dirigeants français » selon les équipes d’HRO.
Depuis janvier 2021, on constate également une augmentation des mises à l’abri forcées. HRO en recense une quinzaine depuis le début de l’année. Des dispositifs massifs de CRS sont déployés, comme par exemple le 29 septembre dernier. Près de 126 CRS armés d’équipements anti-émeute ont escorté de force environ 400 personnes dans des bus vers des destinations inconnues. HRO dénonce le caractère abusif de ces opérations en raison du manque d’information communiqué aux personnes exilées vers les lieux de destination.
Ces mises à l’abri forcées ont pour but d’éloigner ces personnes de la frontière franco-britannique en ne prenant ni en compte leur consentement, ni leurs différentes situations administratives. Car pour certains, ce n’est pas seulement un retour à la rue les jours qui suivent ces opérations qui les attendent, mais parfois une expulsion du territoire national. Les différentes associations présentes sur le littoral s’accordent toutes à dire à quel point cette politique contre les points de fixation ne résout en rien la situation de ces personnes qui pour la plupart n’abandonnent pas leur désir de se rendre au Royaume-Uni. Ces différentes opérations de harcèlement ne font qu’épuiser toutes les parties, à commencer par les personnes exilées mais aussi les associations qui manquent de tout.
Les stocks de tentes diminuent, l’accès à l’eau devient difficile et les arrêtés préfectoraux interdisent également les distributions alimentaires dans certains secteurs. L’aide humanitaire ne suffit plus pour parvenir à couvrir les besoins les plus élémentaires. Les adultes et les enfants vivant dans les campements « restent constamment en veille » et « sont visiblement dans un état d’épuisement physique et mental », a constaté la Défenseure des droits lors d’une visite de septembre 2020.
Human Rights Watch publie dans un rapport le caractère dégradant et arbitraire de la politique menée à l’encontre des adultes et des enfants migrants. Près d’un an et demi d’enquête ont été nécessaires pour répertorier les manquements graves de l’État et le traitement abusif à l’encontre des personnes exilées mais aussi à l’encontre des associations. Cette politique ne fait que rendre plus misérables les conditions de vie pour ces quelques 2000 personnes vivant à Calais et ses alentours. Selon HRW, les autorités mettent en œuvre ces pratiques principalement dans le but de forcer les personnes à partir ailleurs, sans résoudre leur statut migratoire, ni l’absence d‘abri et sans dissuader de nouvelles arrivées.
Les conditions se dégradent sur le terrain et les associations n’arrivent plus à se faire entendre. C’est pourquoi, trois calaisiens ont entamé une grève de la faim au sein de l’église Saint-Pierre à Calais depuis le 11 octobre dernier. Anaïs Vogel et Ludovic Holbein de l’association Shanti ainsi que le père Philippe Demeestère, dénoncent une « escalade de violence inouïe » et protestent contre les conditions de vie des exilés. Depuis plusieurs mois, ils observent des mesures toujours plus drastiques pour empêcher l’accès à l’eau et à la nourriture. Un drame s’est ajouté à cette conjoncture, celui de la mort fin septembre d’un jeune soudanais de 16 ans, alors qu’il tentait de monter dans un camion. Il a été fauché sur l’autoroute.
Face à cette situation toujours plus alarmante et en vue de l’hiver qui s’approche, les grévistes réclament la « suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements durant la trêve hivernale », « l’arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées durant cette même période », « l’ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées ».
« Rien ne peut justifier de soumettre des personnes à une humiliation et un harcèlement quotidien » selon Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch.
Londres s’est engagé, fin juillet, à payer 62,7 millions d’euros entre 2021 et 2022 « afin d’appuyer la France dans son action d’équipement et de lutte contre l’immigration irrégulière » et pour financer le renforcement des contrôles sur les côtes.
Le ministre de l’Intérieur a également affirmé avoir reçu l’assurance du directeur de l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex que cette dernière serait « au rendez-vous » d’ici « la fin de l’année » pour aider à quadriller la zone, notamment via une surveillance aérienne.
La police française a donc pour mission d’empêcher les migrants de passer au Royaume-Uni. Mais cette politique n’a en réalité que très peu d’effets puisque le nombre de passages n’a jamais été aussi important depuis août 2021. Selon le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, Philippe Dutrieux, quelques 15 400 migrants ont tenté la traversée entre janvier et août, dont 3 500 ont été « récupérés en difficulté » en mer et ramenés sur les côtes françaises. En 2020, les traversées et tentatives de traversées ont concerné près de 9 500 personnes, contre 2 300 en 2019 et 600 en 2018.
Une série d’accords conclus depuis près de trente ans ont conduit au renforcement et à la militarisation des points de passage vers le Royaume-Uni. Installation de barbelés, de grillages, de systèmes de vidéo-surveillance : les ports et le site d’entrée du tunnel sous la Manche sont devenus hautement clôturés et surveillés. Le dernier accord franco-britannique va permettre de doubler les patrouilles policières sur les plages, augmenter l’utilisation des technologies de surveillance telles que les drones. Les modes de franchissement de la frontière évoluent en fonction de son niveau de sécurisation. Plus un point de passage est rendu inaccessible, plus il y a de prises de risque et plus ces tentatives impliquent le recours à un « tiers », le passeur. Les passages en bateau sont devenus au fil du temps un des moyens privilégiés. Mais les risques sont nombreux.
Dernièrement, durant la nuit du samedi 9 au dimanche 10 octobre, 340 personnes ont été secourues. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord fait état d’embarcations de fortune en très grande difficulté, certaines sur le point de couler, d’autres avec des cas d’hypothermies. Malgré les initiatives menées par les autorités pour dissuader les migrants de rejoindre le Royaume-Uni, il semblerait que le seul effet constaté reste la précarisation toujours plus grande des populations en transit. En septembre, le Home Office (bureau intérieur britannique) a publié un communiqué dans lequel il fait savoir que ses agents de la frontière suivaient une formation dédiée aux tactiques de « retour » en mer. Objectif : empêcher les migrants à bord des bateaux d’atteindre la côte, une pratique illégale au regard du droit international.
1991 – Le protocole de Sangatte prévoit des contrôles embarqués entre Paris et Londres. Mais les migrants passent à travers. L’Angleterre inflige de lourdes amendes à la SNCF.
1995 – Par un « gentleman’s agreement » entre les deux pays, Paris s’engage à récupérer les migrants interceptés par les Britanniques.
1999 – Lionel Jospin ouvre Sangatte. La Croix-Rouge gère le camp, initialement prévu pour accueillir 600 personnes. Les Britanniques dénoncent une aide au passage.
2000 – Le protocole additionnel fixe le contrôle douanier au départ de Paris. En échange, les Britanniques financent les équipements de sécurité dans les gares du Nord de la France.
2002 – Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, ferme Sangatte avec la collaboration des Britanniques, qui prennent en charge 200 Afghans et 1000 Kurdes irakiens.
2003 – Traité du Touquet : Londres externalise ses contrôles douaniers en France, y compris dans les ports.
2004 – Un accord est signé entre la Belgique, la France et l’Angleterre afin d’étendre les contrôles juxtaposés aux trains Eurostar reliant Londres et Bruxelles et qui font un arrêt à Lille.
2013 – Manuel Valls, ministre de l’intérieur, annonce la mise en service d’une compagnie permanente de CRS de 60 hommes à Calais. Il annonce également une rencontre avec Theresa May dans le but de mieux coordonner les politiques d’immigration des deux côtés de la frontière et l’installation d’une maison des migrants.
2014 – Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, demande l’aide financière britannique pour sécuriser le port de Calais. Aide accordée.
2016 – Un mur commence à être construit à Calais, financé par le Royaume-Uni, dont le coût est estimé à 2,3 millions de livres. Haut de 4 mètres et long de 1 km, il borde la route principale menant au port.
2018 – Le traité du Touquet a été complété par le traité de Sandhurst. Le Royaume-Uni accepte de verser la somme d’environ 50 millions d’euros pour renforcer la protection et la surveillance des côtes françaises. Theresa May s’engage parallèlement à traiter plus rapidement les dossiers des migrants éligibles à une entrée légale sur le sol britannique, comme les mineurs isolés ou les demandeurs d’asiles.
2020 – L’Angleterre n’est plus membre de l’UE. Les accords relatifs à la frontière restent inchangés durant la période de transition.
2021 – Accord de 62, 7 millions entre la France et le Royaume-Uni. Deuxième accord financier en 12 mois.
2021 – Nationality and Borders Bill, projet de loi britannique. Criminalisation des demandeurs d’asile arrivant par des voies non autorisées. Ce sera un statut de protection temporaire, jusqu’à 30 mois et fournira des droits limités, empêchant l’accès aux services sociaux.
2021 – On recense 304 morts depuis 1999.
Note de la rédaction : Retrouvez l’ensemble des dates importantes ici.
Sources : La Cabane Juridique, Human Rights Watch, Human Rights Observers, Utopia 56