Pascaline, membre de Salam association, a choisi de s’investir quotidiennement en faveur des personnes exilées. Elle habite à quelques kilomètres de Grande-Synthe et son engagement est devenu vital et essentiel face à la détresse dont elle est témoin. Elle se rend quotidiennement sur le camp pour distribuer, conseiller et aider comme elle peut les centaines de personnes présentes qui vivent dans des conditions extrêmes. Malgré son poste de salariée au sein d’un groupe industriel, Pascaline déploie la majorité de son temps libre à aider et faire preuve d’humanité.
Entretien réalisé le 27 octobre concernant les dernières actualités sur le camp de Grande-Synthe.
Quelle est la situation sur le terrain ?
Les gens dorment dehors, beaucoup n’ont pas de tente, pas de sac de couchage, pas de couverture. J’essaie d’aider à mon niveau. Mon numéro de téléphone circule, je reçois donc plus de 20 messages par jour pour me demander du matériel pour se vêtir et se mettre à l’abri, des conseils ou encore des informations sur une demande d’asile par exemple. C’est un peu difficile à gérer car cela demande une sacrée organisation. Il faut noter, préparer, recueillir, orienter et ensuite distribuer sur place les dons collectés. Et cela tous les jours. Je mets un point d’honneur à répondre à chacun des messages que je reçois. Mais parfois je n’arrive pas à trouver une issue favorable à toutes les demandes tellement les besoins sont grands. C’est pour moi le plus difficile à gérer, quand il faut dire non ou quand on sait qu’il n’y a aucune solution possible. Notamment quand ce sont des familles et qu’il n’y pas de mise à l’abri possible.
À quelle fréquence ont lieu les expulsions sur Grande-Synthe ?
Ici, sur le camp de Grande-Synthe, les expulsions ont lieu chaque semaine. Je sais qu’à Calais, c’est tous les jours. La politique déployée est très claire et elle est mise en avant comme seule réponse possible de la part des autorités, à savoir celle concernant la lutte contre les points de fixation.
Combien de personnes se trouvent-elles sur le site en ce moment ?
Actuellement, environ 1000 personnes se trouvent sur le camp de Grande-Synthe. C’est de la folie. Il y a énormément de familles avec enfants. Je trouve cela insupportable. Elles arrivent, elles n’ont rien, littéralement. J’essaie de les orienter au mieux mais les associations qui s’occupent des familles n’ont plus les moyens de prendre en charge tout le monde. Clairement, j’observe une baisse de moyens matériels par rapport à l’année dernière. On n’arrive pas à répondre aux besoins primaires de ces personnes vulnérables.
Quel montant as-tu récolté dernièrement et à quoi cette somme te sert-elle principalement ?
En un mois, je viens de récolter environ 1000 euros par le biais d’une cagnotte que j’ai lancée. J’achète principalement des tentes. C’est ce qui est le plus demandé. Hier par exemple, j’en ai reçu 33. Elles ont toutes été distribuées ou sont déjà réservées. Ensuite, j’arrive à récupérer des sacs de couchage, des couvertures, des chaussures et des vêtements chauds pour les redonner. Certain.e.s sont encore en sandale et chaussures d’été. Le camp est pourtant très boueux suite aux dernières précipitations et il commence à faire très froid. Le seul moyen de se réchauffer est de faire du feu.
Qu’observes-tu en allant sur le terrain quotidiennement ?
Je trouve qu’il y a beaucoup de fatigue. Beaucoup plus qu’avant. Que ce soit les personnes exilées ou les associations, tout le monde est exténué. J’appréhende l’hiver qui arrive. Les associations manquent déjà de tout. Les distributions alimentaires deviennent de plus en plus difficiles car beaucoup de bénéficiaires ont peur de ne pas avoir assez à manger par exemple. Salam association réalise quatre distributions par semaine. D’autres associations sont également présentes pour distribuer de la nourriture. Même si c’est une fois par jour, il y a toujours un relai de ce côté-là.
Sur un plan plus personnel, comment gères-tu émotionnellement la situation ?
Il n’y a pas de répit. C’est tous les jours. Il n’y a que le dimanche où je décide de vraiment couper. Mais sinon comment faire autrement ? Après le boulot, je suis sur le pont jusqu’à 23 heures. Je le fais parce que je le peux encore. Mais il faut tout de même que je pense à moi car la saison hivernale va être très longue. Je tiens parce que j’ai encore les moyens de le faire mais c’est pas toujours facile. Les urgences sont trop nombreuses. Les besoins toujours plus importants. Il faut gérer les stocks, gérer les déceptions, les frustrations et faire en sorte d’y répondre à un moment. J’arrive tout de même à nouer des relations fortes avec certain.e.s, même si j’aimerais passer plus de temps avec chacun.e. À mes yeux, c’est ce qui a de plus précieux et c’est ce qui me donne l’énergie de continuer.
Qu’est-ce qui t’as le plus marqué dernièrement ?
Deux choses. La première concerne une tentative de passage qui a eu lieu il y a deux semaines et qui a mal tourné. Le bateau était sur le point de couler. Un des passagers s’est retrouvé dans l’eau. Il a terminé à l’hôpital dans un état d’hypothermie avancé. Je le connais très bien. Un second passager s’est retrouvé dans le même état également. Ça m’a particulièrement affecté. En un rien de temps, tout peut basculer. La deuxième situation concerne un cas de violence policière. Une personne exilée voulait filmer une expulsion. Un policier lui a arraché son téléphone des mains, l’a jeté à terre et un camion de nettoyage a roulé dessus volontairement pour le détruire. Aujourd’hui, cette personne se retrouve sans téléphone, sans moyen de communiquer avec ses proches. C’est dramatique.
Qu’espères-tu pour les prochains mois ?
Ici, les associations de terrain demandent la même chose que les trois grévistes de la faim1 à Calais, à savoir l’arrêt des expulsions ainsi que l’arrêt de la destruction du matériel et des effets personnels. Ce n’est pas grand chose mais c’est déjà énorme au regard de la situation déplorable pour ces centaines de personnes en transit. J’appréhende les prochains mois qui risquent d’être difficiles.
1 : Trois calaisiens ont entamé une grève de la faim au sein de l’église Saint-Pierre à Calais depuis le 11 octobre dernier. Anaïs Vogel et Ludovic Holbein de l’association Shanti ainsi que le père Philippe Demeestère, dénoncent une « escalade de violence inouïe » et protestent contre les conditions de vie des exilés. Depuis plusieurs mois, ils observent des mesures toujours plus drastiques pour empêcher l’accès à l’eau et à la nourriture.