Dès 2011, pour fuir le régime et échapper à la guerre, pas moins de 13,8 millions de Syriens ont été contraints de quitter leur foyer, soit environ 60 % de la population. Parmi eux, 7,4 millions sont aujourd’hui des déplacés internes, faisant de la Syrie le pays comptant la plus grande population de personnes déplacées à l’intérieur de ses propres frontières. Le camp de Sarmada, situé dans la province d’Idlib, à l’extrême nord-ouest de la Syrie, près de la frontière turque, est un camp informel où des milliers de personnes vivent sous des tentes alignées les unes après les autres, certaines depuis plus de dix ans. Les conditions de vie y sont extrêmement difficiles, et l’aide humanitaire y parvient rarement, voire jamais. Malgré les changements politiques majeurs survenus en Syrie au cours des dernières semaines, la crise humanitaire persiste, réduisant toujours l’espoir d’un retour pour ces populations déplacées.
Déclenchée en 2011, la guerre civile en Syrie a causé plus d’un demi-million de morts et entraîné la plus grande crise de déplacement au monde, avec 13,8 millions de personnes toujours déplacées de force à l’intérieur et à l’extérieur du pays, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Parmi elles, 7,4 millions sont aujourd’hui des déplacés internes, faisant de la Syrie le pays comptant la plus grande population de personnes contraintes de fuir à l’intérieur de ses propres frontières. La province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, abrite plus de cinq millions de personnes, dont une majorité de déplacés internes venus de toutes les régions ravagées par quatorze ans de guerre. Ils ont subi les bombardements aveugles de l’aviation et les barils explosifs largués par les hélicoptères du régime Assad, qui ont dévasté leurs villes, d’Alep à la Ghouta en passant par Homs.
Dévastée par la guerre, Sarmada est devenue l’un des derniers refuges pour les déplacés internes. Dans des camps surpeuplés, des forêts de tentes s’étendent à perte de vue, tandis que les conditions de vie y sont déplorables. La situation est alarmante : faute de moyens financiers et matériels, et en l’absence d’une aide humanitaire suffisante, les habitants du camp de Sarmada sont abandonnés à une misère et une détresse profondes. Malgré les changements politiques majeurs survenus en Syrie au cours des dernières semaines, la crise humanitaire persiste, réduisant toujours l’espoir d’un retour pour ces populations déplacées.
Le camp de Sarmada. Niché entre des montagnes rocailleuses, il abrite plus de 400 familles de déplacés internes, depuis parfois plus de 10ans, dans des conditions déplorables. L’extrême précarité et l’absence d’aides les ont plongé dans une détresse la plus totale. 30 Janvier 2025. © Audrey M-G / Specto Média
À l’entrée du camp, Nada, 32 ans, raconte le calvaire de l’exil forcé dans son propre pays : « Dès 2012, j’ai dû quitter Damas pour Qaboun. En 2013, je suis partie de la Ghouta, où j’ai été assiégée, puis on nous a déportés en bus jusqu’à Idleb et Arihah. De nouveau, nous avons été bombardés et, une fois de plus, nous avons dû fuir, d’abord jusqu’à Maydanki, puis à Afrin, pour finalement tout abandonner encore une fois et rejoindre le camp de Sarmada en 2020. Cela fait cinq ans que nous survivons ici. »
Avec sa mère malade, ses trois filles et son époux, Nada vit dans une petite tente de fortune, faite de bâches et de matelas récupérés çà et là. L’aide internationale n’est jamais parvenue jusqu’au camp.
« Personne ne m’a aidée. Il n’y avait rien : ni assistance, ni médecin, ni nourriture, ni eau. Rien. » assure-t-elle. Riyad, l’une de ses voisines de camp, renchérit :
« Puisque vous venez de France, demandez à votre président de nous aider. Regardez, nous n’avons plus rien, sauf Dieu. Nous n’arrivons pas à subvenir aux besoins de nos enfants. Ils n’ont pas d’avenir ici. »
Nada fait partie des 7,4 millions de déplacés internes qui ont du fuir la guerre. Forcée à l’exil de ville en ville, elle survit depuis 5 ans dans le camp de Sarmada avec sa mère, ses trois filles et son époux dans une extrême misère. 30 Janvier 2025. © Audrey M-G / Specto Média
Des conditions de vie misérables, l’insalubrité, une extrême précarité : tel est le quotidien des habitants du camp. 90 % des déplacés internes vivent en dessous du seuil de pauvreté. L’aide humanitaire est vitale, mais elle n’est presque jamais parvenue jusqu’ici.
Enceinte, Nada souhaite désormais rentrer à Damas pour y accoucher : « Je veux retourner chez moi, à Damas. Louer une voiture pour emmener mes affaires et ma famille. Il y a mon mari, ma mère – veuve, malade et sans personne – et mes trois filles. Je suis enceinte. Je veux partir avant d’accoucher, car je vais devoir accoucher par césarienne au septième mois. J’ai peur des contractions. J’ai mis au monde mes filles dans cette misère. Je sais ce que c’est. »
Dans le camp de Sarmada, l’avenir s’arrête à des montagneuses rocheuses et des multitudes de tentes. Malgré la chute du régime, les conditions de vie de ses habitants n’ont pas changé. Le gel brutal et massif des financements de l’USAID qui a provoqué l’irruption de programmes humanitaires à travers le monde est une nouvelle catastrophe à laquelle il faudra faire face. 30 Janvier 2025. © Audrey M-G / Specto Média
Depuis la chute du régime, 600 000 réfugiés ont pu retourner chez eux. Pour Nada, le manque de moyens financiers ne le lui permet pas encore. Pour d’autres, ce sont aussi les conditions matérielles qui posent problème. Les bombardements intensifs de ces quatorze dernières années n’ont laissé derrière eux que des champs de ruines. Des villages entiers ont été rasés, et lorsque quelques maisons parviennent à émerger de ces paysages de désolation, elles tiennent miraculeusement debout, mais restent privées d’eau et d’électricité.
Pourtant, l’espoir d’un retour à une vie digne et d’un avenir meilleur pour ses enfants demeure : « Nous avons vécu dans la peur, la pauvreté, les déplacements incessants, les bombardements, le froid et l’humiliation pendant quatorze ans. Dieu merci, c’est terminé. L’avenir sera toujours meilleur que sous le régime de Bachar. Et il sera encore plus radieux lorsque nous serons enfin rentrés chez nous, si Dieu le veut. »
Plus inquiète pour l’avenir de ses enfants que pour elle-même, Riyad, 42ans, interpelle Emmanuel Macron: « Comme vous venez de France, demandez à votre président de nous aider. Regardez, nous n’avons plus rien sauf Dieu. Nous n’arrivons pas à subvenir aux besoins de nos enfants. Ils n’ont pas d’avenir ici. ». 30 Janvier 2025. © Audrey M-G / Specto Média
Le 25 janvier 2025, lors de sa visite à Damas, au cours de laquelle il a rencontré le nouveau dirigeant de la Syrie, Ahmed al-Charaa, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a averti : « Pour que ce retour soit durable et que la vie de tous les Syriens s’améliore, l’économie doit redémarrer, les services doivent être rétablis, la sécurité garantie et le logement faire l’objet d’un vaste programme de reconstruction. »
Il a également appelé à la levée des sanctions occidentales contre le pays, dont la plupart visaient le gouvernement Assad et n’ont pas été levées depuis sa chute, le 8 décembre. Enfin, il a lancé un appel urgent à la communauté internationale afin de soutenir la Syrie, malgré le gel brutal et massif des financements de l’USAID, qui a entraîné l’interruption de nombreux programmes humanitaires à travers le monde.
La chute du régime a mis fin à 14 ans de guerre civile, laissant entrevoir aux premières heures des lueurs d’espoir pour un avenir meilleur. C’était sans compter les destructions massives et les conditions de vie extrêmement précaires dont plus de 7,4 millions de syriens ont souffert à l’intérieur du pays. Malgré l’appel du nouveau dirigeant Ahmed al-Sharaa à un retour de tous les syriens pour entamer la reconstruction du pays, les sanctions et le gel des financements de l’USAID sont de nouvelles contraintes auxquelles le gouvernement et la communauté internationale devront palier. 30 Janvier 2025. © Audrey M-G / Specto Média
Images : Merlin Ferret
Textes : Audrey M-G
Article & Photos : Audrey M-G
Fixer : Asaad Al Asaad
Traduction : Téa Ziade
Traduction additionnelle : Adnan Farzat & Jihane Guillot Moueix
Voix off : Eléonore Plé
Montage & étalonnage : Merlin Ferret
Mixage son : Mathieu Collet
Drone : Asaad Al Asaad