« مخيم فلسطين », inscrit en grandes lettres noires, signifie en français « Camp Palestine ». C’est ici, dans la périphérie sud de Damas, que se trouve le camp palestinien de Yarmouk, créé dans les années 1950 par l’Organisation des Nations Unies. Suite à la guerre de 1948 et la création de l’État d’Israël, près de 700.000 Palestiniens1 ont été forcés à l’exode durant ce qui est communément appelé la Nakba, “catastrophe” en arabe. Longtemps symbole d’accueil, et anciennement l’un des marchés les plus florissant du pays, ce quartier a été profondément marqué par la guerre civile syrienne. Depuis 2011, les bombardements ont réduit ses rues en un paysage de ruines. Pourtant, peu à peu, la vie reprend : des enfants jouent entre les décombres, tandis que quelques véhicules circulent à travers les allées encore meurtries.
L’atmosphère apocalyptique qui règne à Yarmouk est le triste héritage des affrontements entre les différentes forces armées. Dès les premières manifestations de 2011, le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG), faction palestinienne fidèle au régime de Bachar el-Assad, a réprimé les tentatives de soulèvement dans le camp2. Fin 2012, l’Armée syrienne libre et le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, prennent le contrôle du camp. Le 16 décembre de cette même année, un avion de guerre syrien bombarde la mosquée Abdul Qadir al-Husseini, entraînant la mort et les blessures de dizaines de civils3. Cet événement marque un tournant : la plupart des 150 000 habitants fuient Yarmouk, se réfugiant dans des quartiers de la capitale syrienne pour certains, ou quittant le pays pour d’autres, amorçant un siège qui durera jusqu’en 2018. Seuls 20 000 d’entre eux restent sur place, selon L’Orient-Le Jour4, et la famine s’installe rapidement, les habitants devenus tributaires des rares aides alimentaires parvenant dans le camp5.
En avril 2015, le camp tombe aux mains de l’organisation État islamique, avec le soutien des combattants du Front Al-Nosra6. Après presque une décennie de conflits, l’armée syrienne annonce, le 21 mai 2018, avoir repris entièrement Yarmouk. Pourtant, le retour des habitants demeure extrêmement limité. Selon un rapport d’Euro-Med Monitor, des soldats loyalistes auraient extorqué certains résidents aux points de contrôle, les empêchant d’accéder à leurs propres maisons pour en évaluer les dégâts7. Dernièrement, le médecin Dr Khaldoun al-Mallah, seul chiurgien présent à Yarmouk durant le siège, a précisé qu’aucune annonce officielle de la part du gouvernement syrien n’avait été faite concernant la réhabilitation du camp.
Aujourd’hui, les habitants reviennent peu à peu, reconstruisant ce qui peut l’être. Leurs maisons, pour la plupart réduites en poussière, témoignent de l’ampleur des destructions, principalement détruit par les forces du régime d’Assad et d’Isis «Islamic State in Irak and Syria». Specto Media dévoile ici une série d’illustrations reflétant à la fois l’étendue des ravages et le lent retour à la vie dans ce quartier autrefois commerçant. Amira, Reem, Abu Khifa, Hamza et Riad ont pris le temps de partager leurs récits, entre pertes et espoirs de reconstruction.
Une habitante du quartier chemine entre les débris des batiments, après avoir fait ses courses alors que la vie reprend peu à peu dans le camp palestinien, quelques commerces ayant ouverts leurs portes à l’entrée du camp. Entre les débris, de multiples objets du quotidien sont restés, des sacs, des jouets d’enfants à l’instar de ce sac à dos Spiderman, des lettres, parfois des fleurs ou encore des livres, symbole d’une vie antérieure forcée à l’exil par la guerre.
“Si je peux dormir ici, je suis heureuse, même si je dors à même le sol. Je suis heureuse, car c’est ma maison.” sont les premiers mots que Amira, d’origine palestinienne, exprime, alors qu’elle patiente au soleil, devant sa maison, dans laquelle elle a finalement pu retourner depuis près d’un an et demi. A 67 ans, Amira a passé la plus grande partie de sa vie à Yarmouk. Originaire de Safed en Palestine, la septuagénaire est née au Golan, région située au sud-ouest de la Syrie, occupée en partie par Israël.
Partie au début du siège, Amira se remémore les “ obus qui tombaient” sur elle et sa famille. “Les gens ont fui. Nous sommes partis avec juste les vêtements que nous portions, sans rien emporter.” Lorsqu’elle et sa famille prennent la décision de revenir à Yarmouk, il ne reste plus rien de leur domicile : “Notre maison a été bombardée, puis tout a été volé, surtout le fer”. La guerre n’a pas effacé ses souvenirs du quartier dans lequel elle a grandi toute sa vie : “Il y avait tellement de vie avant, des mosquées juste ici, des commerces, une épicerie dans le coin. Là-bas il y avait des restaurants et un four à pain” se rappelle-t-elle en désignant avec sa main l’allée qui lui fait face.
Quelques allées plus loin, Reem installe son tabouret dans la rue, accompagnée de sa fille. Revenues depuis sept mois dans leur maison, la jeune femme et sa fille, originaires d’Alep, jouent ensemble dans la rue, au soleil. “Désormais, nous sommes en sécurité” soupire la trentenaire, en surveillant sa fille du coin de l’œil, pour qui elle confie “vouloir assurer son avenir”. “C’est la chose la plus importante pour moi” souffle t-elle. Beaucoup de Syriens et de Syriennes vivaient dans ce camp, pas seulement des descendants de la Nakba.
Entre les façades éventrées et les immeubles en ruine, le bruit des moteurs vient briser le silence qui pesait sur Yarmouk. Motos, vélos, bus et taxis se frayent un chemin à travers les décombres, insufflant un semblant de mouvement à ce paysage figé par des années de destruction. Peu à peu, ces échos de circulation redonnent à ce quartier meurtri l’illusion d’une vie qui tente de reprendre son cours.
Abu Khifa, 36 ans, arpente les allées de Yarmouk, une pelle sur l’épaule et un keffieh couvrant sa bouche pour se protéger de la poussière soulevée par les décombres. Régulièrement, il prête main-forte pour déblayer les maisons détruites par la guerre.
« Je nettoyais un appartement dont les propriétaires veulent revenir », raconte ce jeune homme de 36 ans, ancien habitant du camp. « Nos maisons sont presque toutes détruites », poursuit-il, avant d’ajouter avec amertume : « Vous ne pouvez même plus retrouver votre maison. » Il désigne alors les responsables de ce chaos : « Ils ont volé les portes, les toits, les structures en fer… », accuse-t-il en évoquant les hommes de la 4ᵉ division, celle de Maher al-Assad, frère cadet du « boucher de Damas ». Une récente enquête de l’AFP, menée entre décembre et janvier, met en lumière l’ampleur des pillages orchestrés par Maher al-Assad et son réseau. L’investigation révèle ainsi comment ces derniers ont bâti un véritable empire économique en s’appropriant les richesses du pays, en pillant notamment le cuivre et les autres métaux des habitations8. En 2011, les Etats-Unis avaient par ailleurs annoncé des sanctions contre l’un des hommes d’affaires proche du président Bachar al-Assad et de sa famille, Mohamed Hamcho et son groupe, Hamsho International Groupe, accusé d’entretenir des liens avec Maher al-Assad.9
Casquette vissée sur la tête, Abu Khifa s’affaire chaque jour à nettoyer de nouvelles maisons, à la demande des propriétaires qui, malgré tout, reviennent peu à peu à Yarmouk. Dans ce quartier autrefois ravagé par les combats, la vie tente désormais de reprendre son cours.
Dans une allée en ruines, près d’une épicerie et d’une route où circulent les bus, un groupe d’adolescents traîne, tentant de retrouver leurs repères dans un quartier méconnaissable. Parmi eux, Hamza et Riad, une quinzaine d’années, échangent des regards timides avant de confier : “Nous sommes revenus pour continuer nos études et faire des choses utiles.” Pourtant, les deux adolescents constatent que les quelques écoles qui existaient avant ne sont plus qu’un amas de gravats.
Les deux cousins, partis en 2011 pour Sehnaya, peinent encore à réaliser leur retour à Yarmouk. “Nous ne savions même pas où nous étions en revenant”, avouent-ils, visiblement troublés. Aujourd’hui, malgré l’incertitude, Hamza rêve de devenir médecin et Riad ingénieur, “du moins, si la situation s’améliore”, ajoutent-ils avec l’espoir d’un avenir plus stable.
Sur ces images, la vie semble peu à peu reprendre ses droits. Un homme répare sa maison depuis son toit, tandis que des véhicules déposent des habitants de retour. Deux chiots jouent parmi les décombres, à l’abri du soleil. La verdure réapparaît timidement, contrastant avec la grisaille des ruines, comme un semblant d’espoir au milieu de la poussière et du chaos. Officiellement, si les habitants reviennent progressivement, peu d’informations ont été délivrées des autorités syriennes sur la réhabilitation du quartier.
Journaliste : Téa Ziadé
Photos : Téa Ziadé