Depuis octobre 2023 et l’intensification des bombardements de l’IDF (Israël Defense Forces) sur le Liban, notamment dans le sud, l’est du pays et de sa capitale Beyrouth, les scénarios prévus ne préparaient pas à la situation actuelle. 1,4 millions de déplacés internes survivent dans des refuges de fortune et/ou à la rue. Il s’agit du plus important exode du pays depuis la guerre civile. La réponse étatique largement insuffisante, voire inexistante, a poussé de nombreuses actions civiles à se mettre en place et les déplacés à s’en remettre aux associations locales. Fondée en 1979 par le Docteur Kamel Mohanna, après la première invasion israélienne de 1978, l’association socio-médicale AMEL a mis l’humain au coeur de ses actions et ce, sans distinction. Pour répondre aux besoins immédiats et urgents des populations touchées par la guerre, AMEL a établi un plan d’urgence pour leur assurer un accès gratuit aux soins sur l’ensemble du territoire libanais tout en devant faire face aux nouvelles difficultés inhérentes au contexte actuel. Ainsi, l’association a dû renforcer son plan d’intervention en l’adaptant à la catastrophe humanitaire en cours.
Depuis novembre 2023, plusieurs hôpitaux et établissements de santé appartenant à des organisations humanitaires ont subi des dommages et des pertes humaines dues aux attaques quotidiennes d’Israël. De nombreux travailleurs de la santé des organisations humanitaires et de la défense civile ont été directement ou indirectement visés. On compte 2968 victimes au Liban, dont 178 ambulanciers et infirmiers (chiffres officiels du 1er novembre 2024). Il faut également rappeler que 40 hôpitaux, 84 centres médicaux et 243 véhicules ont été détruits. Toujours selon le ministère libanais des Affaires étrangères, on comptabilise à ce jour près de 281 attaques contre des hôpitaux, des centres de soins de santé primaires et des services d’urgence. Une grave entrave au droit international constituant par la même un crime de guerre.
L’article 8 du Statut de Rome de 1998, qui régit la Cour pénale internationale (CPI), stipule que: « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission locale d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conforment à la Charte des Nations Unies, pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantis aux civils et aux biens de caractère civil » constitue expressément un « crime de guerre ».
À ces attaques constantes et la destruction de nombreux centres s’ajoute inéluctablement un désastre humanitaire. Selon les ministères de l’environnement et de la santé, moins de 14% des déplacés soit 180000 personnes se sont enregistrées dans les refuges officiellement mis à disposition par l’État, à savoir 1130 centres sur tout le territoire dont 121 à Beirut. Lorsqu’elles n’ont pas pu être hébergées par des proches ou fuir hors du pays, les populations déplacées n’ont d’autres choix que la rue. Libanais, syriens, palestiniens, employées de maison issues de la Kafala ne peuvent survivre ni subvenir à leurs besoins sans l’aide ni les programmes de soutien mis en place par l’action civile.
En raison de l’effondrement économique du pays, ces centres étaient un refuge pour des milliers de personnes. Aujourd’hui, il est nécessaire de réadapter les plans d’action en fonction de la situation. Plusieurs centres de AMEL ont du fermer pour la première fois de leur histoire, ce sont alors ses 24 cliniques mobiles qui ont pris le relais. En trois semaines, en plus des 2300 travailleurs et bénévoles déjà présents, AMEL, a doublé le nombre des ses unités. Une grande partie de l’équipe est elle-même déplacée. Victimes directes de l’escalade de la violence, elles continuent leur mission, toujours dans cette volonté inébranlable de rester auprès des personnes qui ont tout perdu.
Dans les refuges officiels ou dans les camps informels, les équipes se relient donc quotidiennement pour assurer leurs missions socio-médicales et psycho-sociales. En plus des missions habituelles qui leur incombaient, elles ont dû élargir leur périmètre d’action sur le terrain. De la consultation médicale à la vaccination, dorénavant, les séances de sensibilisation traumatiques, de soutien psychologique, de premiers secours, la distribution de kits d’hygiène font partie de ces nouveaux services. Avec l’hiver qui approche et la crainte d’une nouvelle épidémie de choléra, de nouvelles antennes satellites se mettent en place afin de pouvoir également accompagner les personnes déplacées dans des villages reculés. Actuellement, l’équipe de AMEL soutient 170 centres d’hébergement et contribue à en soutenir d’autres si nécessaire. Cela représente en moins d’un mois 10 000 consultations médicales diverses incluant la vaccination des enfants, 43 060 articles de première nécessité distribués et plus de 20 000 activités et séances de sensibilisation aux premiers secours psychologiques pour tous les âges.
De nombreuses formations et programmes ont été mis en place par le Ministère de la Santé afin que les travailleurs sociaux et le personnel médical puissent élargir leurs compétences. Des consultations en ligne pour la santé mentale sont aussi dispensées pour ne pas surcharger les cliniques mobiles ni les médecins. Les généralistes ont y été d’ailleurs formés et sont désormais autorisés à faire et renouveler des ordonnances pour des traitements psychiatriques avec l’aval d’un référent. L’évolution de la guerre, les violentes attaques quotidiennes et les déplacements ont gravement nui à l’état psychologique des patients. Indispensables, les consultations psychologiques se font en ligne pour assurer un suivi peu importe l’endroit où ils se trouvent, ou face à face si les centres peuvent encore les accueillir. Dans le sud et Bekaa, le suivi des soins auprès des réfugiés syriens est assuré avec l’unité mobile. Le plus important étant d’éviter à tout prix une rupture de soins.
Par manque de référents et de médecins, ce nouveau plan d’action inclut une recherche de partenaires compétents à l’étranger. Si l’aide humanitaire locale est déjà trop insuffisante malgré les efforts colossaux déployés par les acteurs locaux tels que AMEL, l’aide internationale est plus que jamais vitale pour pouvoir assurer le strict minimum aux personnes déplacées sur l’ensemble du territoire tout en s’assurant de respecter leur dignité et garantir leurs droits les plus élémentaires.
Dans un récent communiqué, le Dr Mohanna a déclaré: «AMEL travaille au maximum de ses capacités pour se tenir aux côtés du peuple. Malgré la destruction d’un certain nombre de nos centres, de nos maisons familiales et le déplacement de nombreux membres de notre équipe suite aux bombardements israéliens, notre engagement et notre mission passent avant tous ces sacrifices. La Fondation Amel n’a pas été créée pour reculer sous le poids des difficultés et des guerres mais au contraire pour allumer la flamme de l’espoir au milieu des ténèbres de la guerre. Aucune attaque ne nous empêchera de poursuivre notre devoir envers les gens et leurs droits à une vie digne. »
Les travailleurs de AMEL, au coeur de l’action mais aussi de la guerre, mettent littéralement leur vie au service de l’autre. De l’analyse du besoin aux ateliers éducatifs en passant pour le soutien psychologique, le poids de la guerre ne les épargne pas. Déplacés du Sud ou de la Bekaa, médecins, éducateurs, infirmières, assistantes sociales poursuivent leur mission sur le terrain malgré leur situation.
Dans un soupir, Mohammad confie: « Même si la guerre s’arrêtait demain, le temps que tout soit reconstruit, et ça prendra des années, les familles et nos bénéficiaires n’ont pas d’autres choix que de s’en remettre à nous. On se doit de rester positifs et le plus attentifs possible pour répondre à leurs besoins efficacement et rapidement. Rien ne doit nous éloigner de nos convictions ».
Aux vues des graves entraves au droit international, le Docteur Mohanna et AMEL, appellent le gouvernement libanais, la communauté internationale et les institutions compétentes à prendre toutes les mesures nécessaires pour condamner et inculper Israël pour ces crimes de guerre et l’ensemble de ces violations.
Dans son dernier rapport, Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch, déclarait: « Les attaques illégales menées par l’armée israélienne contre les professionnels de la santé et les hôpitaux dévastent le système de santé déjà fragile du Liban, et mettent les personnels médicaux en grand danger ». Ajoutant: « Les frappes contre les personnels médicaux et les établissements de santé aggravent aussi les risques pour les civils blessés, entravant gravement leur capacité à recevoir les soins médicaux dont ils ont urgemment besoin ». Au 1er novembre 2024, on dénombrait pas moins de 13319 blessés. Parmi eux, 1189 enfants, soit 10 par jour depuis le début la guerre. Un lourd bilan qui ne cessera de s’alourdir si un cessez-le-feu immédiat et permanent n’est pas imposé au plus vite.
Depuis Beyrouth au LIBAN